Des champignons entomopathogènes contre les pucerons du fraisier

L’usage de champignons entomopathogènes et la modulation de la fertilisation du fraisier peuvent constituer des alternatives aux néonicotinoïdes vis-à-vis des pucerons.

En production sous serre, cinq espèces de pucerons (Rhodobium porosum, Acyrthosiphon malvae, Macrosiphum euphorbiae, Aphis sp, Chaetosiphon fragaefolii) sont couramment présentes sur fraisiers, rendant la protection contre ceux-ci difficile. En effet, les auxiliaires parasitoïdes sont spécifiques à une ou deux espèces de pucerons et l’efficacité des aphicides varie en fonction de l’espèce présente.

Sur le créneau de fraises précoces, les pucerons sont problématiques sous serre dès la reprise des plants au mois de janvier. Les conditions de cultures sont favorables à leur développement (température supérieure à 10°C et plante poussante), ils se multiplient alors très rapidement et peuvent entraîner la mort des plants si aucun traitement aphicide n’est réalisé. Pour la production de mars à juin, les infestations de pucerons provoquent une perte directe de rendement en rendant les fruits impropres à la commercialisation (miellat recouvrant les fruits et perte de calibre).

Obtenir un plant indemne en pucerons

Dans les serres de production de fruits, des stratégies de protection contre les pucerons ont été travaillées avec des apports de parasitoïdes des pucerons (espèces seules ou en mix), de larves de chrysopes (Chrysoperla carnea), de cécidomyies prédatrices (Aphidoletes aphidimyza) et de syrphes. Mais ces travaux n’ont pas permis à ce jour d’établir des stratégies fiables. De ce fait, actuellement, deux à cinq traitements aphicides de synthèse sont réalisés en serre de production (données issues du projet Dephy Expé fraises 2013-2018) afin d’assurer un développement du plant et une production de fraises de qualité (sans miellat de pucerons).

Les observations en pépinière montrent une intensité des populations de pucerons faible et une présence d’œufs de pucerons (observation d’œufs d’Aphis et de Rhodobium porosum, Invenio, 2014). De ce fait, les travaux s’orientent vers une stratégie de protection efficace en phase de pépinière permettant d’obtenir un plant indemne en pucerons lors de l’entrée en production. Des essais d’apports de larves de chrysopes et de parasitoïdes ont été menés de 2008 à 2010. A ce jour, les résultats ne donnent pas satisfaction et ne permettent pas d’obtenir un plant indemne de pucerons en production de fraises. En conséquence, les stratégies actuelles de protection contre les pucerons se basent sur l’application d’aphicides en phase de pépinière dans l’objectif d’obtenir un plant indemne de pucerons en phase de production. Parmi les aphicides appliqués, le plus utilisé et le plus efficace sur la majorité des espèces de pucerons du fraisier a été le Calypso (thiaclopride) mais, étant de la famille des néonicotinoïdes, celui-ci est interdit depuis le 1er septembre 2018.

Des conditions propices en pépinières

Parmi les alternatives aux produits aphicides de synthèse, on distingue les produits de biocontrôle à action physique de ceux à action biologique. Depuis 2017, Eradicoat (à base de maltodextrine) et Flipper (à base d'acides gras) sont deux produits de biocontrôle homologués à action physique sur pucerons. Ils ont pour principe d’action de bloquer les orifices respiratoires de l’insecte, entraînant son asphyxie et sa mort. Ces deux produits ont montré des efficacités intéressantes en phase de production sur les pucerons du fraisier (Résultats du projet Dephy Expé fraise 2013-2018).

Leur efficacité n’a pas encore été évaluée en phase de pépinière. Lors du dépôt de projet, deux produits à base de champignons entomopathogènes sont homologués sur fraisier, il s’agit du Naturalis (à base de Beauveria bassiana souche ATCC 74040) et du Botanigard (à base de Beauveria bassiana souche GHA). Le champignon Beauveria bassiana provoque chez les insectes la maladie de la « muscardine blanche » (voir encadré). Ces produits montrent des efficacités intéressantes seulement en conditions d’hygrométries élevées et de températures supérieures à 20°C. Mais ces conditions d’hygrométries et de températures ne sont pas réunies sous serre de production de fraises en période d’infestation de pucerons (souvent janvier-février puis avril).

En revanche, en phase de pépinière (septembre-octobre), les conditions climatiques et l’irrigation par aspersion semblent propices au développement des champignons entomopathogènes. En laboratoire, le Botanigard présente une efficacité intéressante sur les pucerons du genre Aphis fréquemment rencontrés sur fraisier en phase de pépinière. D’autres études en laboratoire montrent un intérêt du Beauveria bassiana et du Lecanicillium lecanii (voir encadré) sur diverses espèces de pucerons des cultures.

Beauveria bassiana sporule à la surface de l’insecte

Le champignon Beauveria bassiana est cosmopolite et capable d’infecter différentes cibles. Les spores du champignon entrent en contact avec l’insecte par sa cuticule et germent. L’hyphe mycélien pénètre alors la cuticule de l’insecte grâce à l’action de certaines enzymes et se développe en se nourrissant de l’hémolymphe de l’hôte. Les insectes parasités perdent petit à petit leur mobilité puis meurent en deux ou trois jours. Si les conditions sont favorables, Beauveria bassiana sporule à la surface de l’insecte infecté et relargue des conidiospores dans le milieu extérieur. La germination et la croissance de Beauveria bassiana sont possibles entre 10 et 35°C, l’optimum étant entre 20 et 27°C. Au-delà de 35°C, la viabilité des spores est altérée. De plus, une hygrométrie minimale de 50 % est requise pour assurer une bonne activité des spores.

Lecanicillium muscarium, l’autre champignon entomopathogène

Un autre produit, à base de champignons entomopathogènes, est homologué depuis plus de dix ans sur fraisier : le Mycotal, à base de Lecanicillium muscarium souche Ve6, commercialisé par Koppert. Le principe d’action du Lecanicillium muscarium est le même que pour Beauveria bassiana. Les conditions optimales d’applications du Mycotal sont une température comprise entre 18 et 30°C (si appliqué avec l’adjuvant Squad) et un taux d’humidité relative moyen de 70 % pendant plusieurs jours après application. Lecanicillium muscarium apparaît également comme un saprophyte ou comme un hyperparasite sur l’oïdium du fraisier.

L’effet de la sève sur les pucerons

La nutrition du fraisier peut avoir un effet sur les populations de pucerons. En effet, la sève phloémienne est à l’origine de l’approvisionnement alimentaire des pucerons. Pour cette raison, sa composition peut avoir des conséquences sur l’attractivité de la plante puis sa disposition à alimenter les pucerons en ressources carbonées et azotées. Or, la composition du phloème dépend de la composition du milieu nutritif et des équilibres qui le caractérisent. Elle est aussi influencée par la croissance et l’âge de la plante qui entraînent une modification de la composition du phloème en glutamine. Ainsi, en intervenant sur l’état nutritionnel des plantes et la composition phloémienne, la fertilisation est de nature à influencer le développement et la reproduction des ravageurs. La qualité nutritive de la plante hôte a un effet à la fois sur la taille et le comportement des pucerons.