Durable ou bio, la banane française change de peau

Après s’être fourvoyées à l’excès dans le tout phyto, la Guadeloupe et la Martinique réinventent depuis 10 ans leurs modes de production. La banane française entend se démarquer de la concurrence et répondre aux attentes sociétales des consommateurs, sans oublier ses petits producteurs et ses petites mains. Le début d’une résurrection agroécologique.

2000 t : c'est la production de bananes bio que l'on devrait trouver sur nos étals à l'horizon 2020, le temps d'assurer la conversion en cours de 60 ha en Martinique et de 40 ha en Guadeloupe. 2000 t sur une production annuelle moyenne de 270 000 t pour les deux îles, c'est insignifiant. Mais c'est un début. Et quand on connaît le défi posé l'AB sous les tropiques et le passé, pour ne pas dire le passif, de la banane française en matière phytosanitaire, c'est à une véritable révolution culturale à laquelle se sont attelés les 600 planteurs des deux îles, avec l'aide de l'UE, de l'État et de la recherche, dont le Cirad (1), l'IT2 (2) et l'Inra. L'enjeu était vital. « Au début des années 2000, on était cliniquement mort », avoue Jean-Louis Butel, qui exploite 90 ha sur deux sites distincts en Guadeloupe. « Les méfaits de la monoculture et la concurrence internationale pèsent respectivement sur les rendements et sur les prix, les surfaces et la production décroissent, on est au bout d'un système ». Au plan mondial, la production de bananes est structurellement excédentaire, comme l'indique le Plan de filière de la banane, élaboré dans le cadre des États généraux de l'alimentation. Les protections douanières ne résistent pas au vent du libéralisme. Quand ce n'est pas la banane-dollar, en provenance d'Amérique latine et centrale, c'est la banane ACP (Afrique Caraïbes Pacifique) qui garnit les têtes de gondole. A 100 €/jour de travail dans une bananeraie française contre 3 $/jour dans une Caribéenne, la banane française ne se gondole pas. Le marché local est de l'ordre de 6000 t.

Deux Plans banane durable

Les cyclones servent de variable d'ajustement. Malheureusement, ils n'épargnent pas les Antilles : Dean en 2007, Matthew en 2016, Maria en septembre 2017. Ce dernier, dont les vents atteignent 300 km/h, dévaste 100 % de la bananeraie guadeloupéenne (3000 ha, 10 % de la SAU, 80 000 t) et 70 % de la martiniquaise (6 300 ha, 28 % de la SAU, 190 000 t). « Tout était par terre », se rappelle Jean-Lous Butel. « Nous en avons profité pour achever la remise à plat de notre écosystème, entamé en 2008 avec le 1er Plan banane durable. Sur ma plantation, j'ai réintroduit la rotation à 5 ans banane / canne à sucre avec 12 à 18 mois de jachère, mis en place des plantes services entre rangs, éliminé les herbicides, épandu des engrais organiques, installé des pièges à charançon à base de phéromones, pratiqué l'effeuillage sanitaire contre la cercosporiose noire. Les résultats techniques sont très probants. Je produis autant de banane sur moitié de surface, soit 40 à 45 t/ha mais mes coûts de production se sont envolés de 30 à 40 % ». A l'issue du 1er plan Banane durable (2008-2013), les planteurs guadeloupéens avaient réduit de 70 % l'usage de pesticides.

La chlordécone ou la banane sur la tempe

Le second Plan en cours (2014-2020) vise encore à diviser par deux leur emploi. Il faut dire que la banane antillaise part de loin. Herbicides, insecticides, fongicides : l'artillerie lourde est déployée durant des décennies, avec le renfort de traitements aériens au besoin. Une politique qui engendrera une catastrophe écologique et sanitaire : la contamination par la chlordécone de 14 170 ha, soit 46 % de la surface agricole utilisée, pour un à plusieurs siècles selon les sols, C'est ce révèle le dernier état des lieux en date, à savoir l'étude ChEauTerre publiée en mars dernier, quand l'évaluation de 2006 ne pointait « que » 6200 ha contaminés. Entre 1972 et 1993, l'insecticide organochloré, perturbateur endocrinien avéré, neurotoxique classé cancérogène possible en 1979, est utilisé, en Guadeloupe comme en Martinique, pour combattre le charançon, dont les larves forent le bulbe et fragilisent l'alimentation et l'ancrage des bananiers. La poudre de chlordécone contamine les sols, les végétaux, les animaux terrestres, aquatiques et marins et se retrouve dans les chaines alimentaires. Le secteur de la pêche est soumis à des interdictions et à des restrictions par secteurs et pas espèces, affectant la pêche en rivière comme en mer, autour du croissant bananier de Basse-Terre. Sur les sols contaminés, l'élevage ainsi que la production de légumes souterrains (patate douce, igname...) et au contact du sol (giraumons, pastèques, melons, concombres...) sont bannis. Problème : en Guadeloupe, le don, l'autoproduction et le bord de route représentent jusqu'à 65 % de l'approvisionnement de certains habitants et posent des problème de surexposition, comme le mentionne un avis récent de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses étude Kannari). Chance : la chlordécone n'est pas véhiculée par la sève. Ananas, choux, tomates, aubergines, haricots, agrumes n'y sont pas sensibles. La banane non plus. « Les analyses sont systématisées sur les 5000 t de bananes prenant chaque semaine le bateau en direction de la métropole », déclare Francis Lignières, président de la Sica LPG, Les Producteurs de Guadeloupe laquelle fédère l'ensemble des planteurs. « Aucune analyse n'a jamais révélé la moindre trace de chlordécone ».

Révolution culturale

Si la chlordécone n'a pas fini d'envenimer les sols, les eaux et les débats, les producteurs de banane veulent tourner la page. Le tournant est pris en 2007 et coïncide avec la fin du système d'aides compensatoires de l'OCM banane au profit du programme européen POSEI (Programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité), basé non plus sur des prix de référence mais sur historiques individuels de production. Le nouveau dispositif garantit un niveau d'aide constant, favorise l'investissement et la transition vers de nouvelles pratiques. Le tout participe à relancer la production, qui dévisse à partir des années 2000. La Guadeloupe hérite alors d'un contingent annuel de 77 877 t et la Martinique de 241 207 t. Chaque planteur reçoit 404 €/t, soit grosso modo l'équivalent du prix de marché de la banane verte payée au producteur. En 2008, l'UGPBAN (Union des groupements de producteurs de banane), créée en 2003 et qui achève de structurer complètement la filière antillaise, acquiert avec Fruidor un réseau de 12 murisseries réparties sur la métropole, où séjournent les bananes pendant 4 à 5 jours, passant du vert au jaune avant leur livraison en GMS. L'investissement est élevé (55 M €) mais il sécurise la filière, la métropole assurant 75 % des débouchés, devant d'autres pays de l'UE. Il n'y a plus qu'à faire rentrer l'agroécologie dans les bananeraies. Les planteurs se dotent avec l'IT2, l'Institut technique tropical, d'une structure d'expérimentation et de conseil totalement indépendante des fournisseurs de produits phytosanitaires. Cirad et Inra poussent les vitroplants, les couverts végétaux ou encore les pièges à phéromone. Et puis, après plus de 15 ans d'effort de sélection, la Cirad 925 est implantée sur 2 ha en 2017. « Il s'agit de la première variété tolérante aux cercosporioses noires et jaunes », déclare Marc Dorel, chercheur en agronomie au Cirad. « Les premières ventes ont été assurées ce printemps sur le marché local. Il nous faut encore travailler la qualité post-récolte pour satisfaire les exigences à l'export. Passée la phase de conversion, en 2020, la Cirad 925 sera la première banane produite respectant le cahier des charges réglementaire AB de l'UE ». Sensibles au noircissement sous l'effet du toucher, la Cirad 925 doit aussi être commercialisée en sachet, ce qui n'est pas dans les habitudes d'achat.

Banane équitable et bio

D'autres variétés tolérantes sont d'ores et déjà dans les tuyaux. Même si d'autres maladies menacent, telles que la fusariose T4, l'horizon se dégage enfin pour la banane française. Au SIA 2017, l'UGPBAN avait jeté le trouble avec son slogan publicitaire « La banane française, mieux que bio, c'est possible », attaqué par le Synabio. « Il s'agissait de dénoncer l'ambiguïté liée aux notions de conformité ou d'équivalence des cahiers des charges AB », se justifie Francis Lignières. « La République dominicaine affuble 50 % de sa production de bananes, soit 150 000 t,  d'un label AB alors que ses bananeraies sont traitées avec des produits qui ne sont même pas homologués dans l'UE. Après l'arrêt des traitements aériens sur nos bananeraies en 2012, les appareils se sont envolés en République dominicaine ». La Cirad 925 aidera sans doute à clarifier le débat, même si la banane bio n'est pas à la veille de recouvrir les Antilles. Au SIA 2018, l'UGPBAN est revenue à la charge en annonçant le lancement d'un label équitable. La filière fait actuellement l'objet d'un audit de la part de Bureau Veritas. Une opération qui cible les consommateurs mais pas seulement. Il s'agit aussi de faire un appel du pied aux petits producteurs. Très structurée, et c'est louable, la filière est entre les mains de moins de 200 planteurs, soit 2 % des exploitations pour 10 % de la SAU. Une concentration de la valeur ajoutée et des subventions (40 % du produit de la banane export) qui ne participe pas à aplanir les inégalités affectant la Guadeloupe, même si la filière, avec ses 3000 emplois directs et indirects, peut s'enorgueillir d'être le 1er employeur privé de l'ile. « Le cahier des charges fixera des exigences en matière environnementale et sociale, sans oublier la qualité des fruits », indique Francis Lignières. La banane équitable ciblera les exploitations produisant moins de 500 t. Les planteurs bénéficieront d'une prime revalorisant le prix final de 40 % ». La production de 500 t de banane export génère environ l'équivalent d'un Smic. Selon Agreste, en 2016, le prix payé au producteur était de 0,64 €/kg.

Des gages environnementaux et sociétaux pour produire plus ?

Les producteurs ont aussi des attentions pour leurs salariés en activité dans les plantations et dans les stations de conditionnement. Le mouvement social du printemps 2017, qui a vu les ouvriers d'une vingtaine de plantations faire grève pendant plus de 40 jours, n'y est pas étranger. « J'ai investi environ 1,4 M € dans la modernisation de ma station de conditionnement », déclare Tino Dambas, qui exploite 138 ha sur deux sites à Capesterre Belle Eau. « Outre des remorques pendulaires, soulageant tout effort physique lors du chargement et déchargement des régimes, le réaménagement total de la station, avec notamment la penderie électrique et le robot de palettisation, a permis de réduire la pénibilité du travail. Un nouveau bâtiment comprenant le réfectoire ainsi que les vestiaires, sanitaires et douches a également été construit ». Après l'ouragan Maria, qui a mis de nombreux salariés au chômage technique, la filière en a profité pour lancer un programme de formation à la carte et à l'ampleur inédite, concernant 1000 salariés. Fort de ces gages agroécologiques, sociaux et sociétaux, la Guadeloupe ne désespère pas de voir son contingent Posei, le sésame pour l'export, franchir le seuil de 100 000 t, contre 77 877 t actuellement. « Les planteurs guadeloupéens reçoivent 31 M € du Posei banane et reversent 32 M € en salaires », plaide Francis Lignières.

(1) Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement

(2) Institut technique tropical