La chasse aux "fake news", un combat de plus pour l’agriculture

Glyphosate, OGM, mais aussi vaccins ou nucléaire : de nombreux sujets sont loin d’être abordés de manière scientifique dans le débat public. Entre méfiance, désinformation et théorie du complot, comment réintroduire la science dans la communication ?

À entendre la frénésie, voire la violence, que provoque un sujet comme le glyphosate dans le débat public, on ne peut que constater l'esprit de clivage et de défiance qui règne dans notre société. « Une grande partie de la population est méfiante, non pas envers la science en général, mais envers certaines technologies scientifiques, analyse Eddy Fougier, politologue et enseignant à Sciences Po Aix-en-Provence. Des enquêtes montrent que les citoyens sont surtout sensibles aux risques qu'ils ont l'impression de ne pas pouvoir maîtriser et qui sont invisibles, comme par exemple le nucléaire ou les OGM. Les risques liés à l'alimentation sont aussi de nature très anxiogène pour le grand public ». 

Pour le politologue, cette vision critique de la science s'inscrit dans un contexte de critique des élites et des institutions. « Or, aux yeux des complotistes, les grandes industries font partie de cette élite », précise-t-il. L'idée d'une collusion entre les intérêts industriels et scientifiques est aussi très ancrée. Elle est appuyée par le fait puisqu'il existe bel et bien des industriels qui financent des études scientifiques pour prouver l'innocuité de leurs produits.

Dérégulation de l'information

D'autre part, de plus en plus de monde, les jeunes en particulier, s'informent uniquement via les réseaux sociaux. « Dans cette dérégulation du marché de l'information, les idées farfelues que l'on pouvait lire uniquement dans des revues clandestines auparavant sont aujourd'hui démocratisées et beaucoup plus visibles », poursuit Eddy Fougier. 

L'information circule aujourd'hui très vite, et les résultats scientifiques sont souvent présentés avec beaucoup de raccourcis. L'exemple récent de l'étude de l'Inra sur les liens entre alimentation bio et risque de cancer en est l'illustration. Alors que l'étude observe une corrélation entre alimentation bio et diminution du risque de cancer, de nombreux médias y ont vu un lien de cause à effet, certains n'hésitant pas à titrer « Manger bio diminue de 25% le risque de cancer ». De quoi alimenter le clivage « bio/non bio », « bien/mal » qui fait légion dans les débats. 

Présentateur de la célèbre émission de vulgarisation E=M6 et ingénieur agronome de formation, Mac Lesggy s'insurge contre la « course à l'audience » à laquelle se livrent les médias et du faible niveau scientifique des journalistes. Invité le 17 avril lors d'un débat organisé par le Syrpa (syndicat national des professionnels de la communication en agriculture), il se disait « pessimiste » quant à la place de la science dans les médias. « Le pays réagit de manière de plus en plus irrationnelle, il y a eu un réel basculement depuis deux ou trois ans, alerte-t-il. La légitimité scientifique est remise en cause ». 

« Les grands relais d'opinion surfent sur les peurs pour faire de l'audience », abonde Eddy Fougier, qui qualifie certains médias grand public de «  militants ». Et de donner l'exemple de l'émission Envoyé Spécial consacrée au glyphosate, diffusée sur France 2 en janvier 2019, perçue par le monde agricole comme remplie de clichés, de raccourcis, et contribuant à l'agri-bashing. Sans compter les grandes marques de l'industrie agro-alimentaire qui surfent sur les peurs en revendiquant des produits « sans résidus de pesticides », sans faire de pédagogie autour des limites maximales autorisées dans les produits de consommation.  

Remettre la pédagogie dans les débats

Comment, dans ce climat, débattre sereinement des questions scientifiques pour lesquelles les citoyens se sentent concernés ? « Il y a un véritable travail de vulgarisation et de pédagogie à faire, aussi bien du côté des scientifiques que du côté des médias », estime le politologue. Dans le monde agricole, des initiatives ont vu le jour, à l'instar de FranceAgriTwittos, une association réunissant des agriculteurs dont l'objectif est de communiquer autour de leur métier auprès du grand public. 

Mais attention, « on ne peut pas expliquer une problématique complexe en 140 signes », met en garde Philippe Mauguin, PDG de l'Inra, en référence au nombre de caractères autorisés sur Twitter (passé aujourd'hui à 280). Selon lui, « on est passé d'une société de savoir à une société de croyances ». Une chose est sûre, la chasse aux théories du complot et aux « fake news » va devenir un sport de longue haleine.