« Lundi vert » : 52 lundis sans chair animale

Quelque 500 personnalités appellent les Français à ne consommer ni viande ni poisson chaque lundi de 2019. Une équipe de chercheurs issus de plusieurs instituts, dont l’INRA, propose aux candidats un accompagnement individualisé hebdomadaire.

Site internet, manifeste, campagne publicitaire, projet scientifique :  c'est un peu l'auberge espagnole que ce « lundi vert », mais sans le Jabugo (jambon), le Manchego (fromage) et les « percebes », ces crustacés accrochés aux rochers de Galice. Et puis tout cela se passe en France, dans les couloirs du métro parisien, sinon entre deux avions entre Paris et New-York, comme a ironisé Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, s'étonnant de « voir des artistes, hommes ou femmes célèbres donner des leçons entre trois allers-retours entre Paris et New-York ». « En France, la consommation de viande ne provoque pas de déforestation, l'élevage rend même des services environnementaux », assure-t-elle.

Tribune à charge

Ce n'est pas exactement la vision des 500 signataires d'une tribune publiée le 2 janvier dans Le Monde. Où l'on peut lire. « En France, 99 % des lapins, 95 % des cochons, 90 % des veaux et 82 % des poulets de chair sont élevés de manière intensive, c'est-à-dire qu'ils sont confinés dans des cages ou des bâtiments fermés afin de les engraisser et les maintenir en vie jusqu'à leur abattage précoce. L'image commerciale d'animaux heureux en élevage (bio ou non) est presque toujours fausse. Pour éviter les blessures dues à l'entassement des animaux ou pour le goût de la viande, l'élevage procède à des mutilations systématiques sans anesthésie (becs, cornes, pattes, dents, queues, testicules). Enfin, après avoir subi des conditions de transport souvent inadéquates et brutales, la moitié des animaux abattus en France sont encore conscients lorsqu'ils sont saignés ». Pour les signataires, il ne fait pas bon être poisson non plus. « Dans le cas de la pêche au chalut, d'immenses filets en forme d'entonnoir capturent tous les animaux qui s'y amassent, mêlés à divers débris. Déversés sur de la glace, ils y agonisent asphyxiés, écrasés par les autres poissons ou meurent par éclatement de leurs organes internes à cause de la décompression. Si l'on en doutait encore, une commission d'experts qualifiés a établi qu'« il n'y a aucune bonne raison de conclure que les poissons seraient insensibles à la douleur ».

Projet scientifique

Outre la présupposée maltraitance animale, qui constitue le morceau le plus radical de la tribune, celle-ci aborde également les méfaits de l'élevage pour la planète (déforestation, émissions de gaz à effet de serre...) et pour la santé (caractère cancérogène de la viande rouge, antibiorésistance...). Pour autant, la conclusion de la tribune se veut plus mesurée. « Il nous semble à la fois rationnel, souhaitable et réaliste d'infléchir nos habitudes, en commençant par nos repas chaque lundi. Bien que ces évolutions de pratiques individuelles ne soient pas suffisantes pour produire tout le changement nécessaire (qui relève naturellement d'un niveau plus global), nous pensons qu'elles y contribuent », concluent les signataires. Outre quelques têtes d'affiche médiatiques, les scientifiques représentent la plus importante cohorte de signataires (près de 80), devant les philosophes (56), psychologues (51) ou encore les journalistes (une trentaine), plus nombreux que les artistes (une vingtaine). Le « lundi vert » est aussi, sinon avant tout, un projet scientifique, qui vise à jauger la capacité des Français à faire évoluer leur comportement alimentaire, en renonçant à consommer de la chair animale chaque lundi de l'année 2019. C'est ainsi que les candidats formalisant leur engagement sur le site Lundi vert commencent par répondre à 60 questions destinées à cerner leur rapport à l'alimentation. Ils peuvent décider – ou non – de recevoir un message hebdomadaire destiné à renforcer leur motivation. Le projet, qui espère rallier entre 50.000 et 500.000 candidats, est piloté par une équipe de chercheurs issus de plusieurs institutions dont le CNRS, l'INRA, l'université Grenoble-Alpes, Grenoble-École de management) et la Maison des sciences de l'Homme Alpes, qui finance l'opération.

Réactions

La campagne « Lundi vert » reprend le modèle du « meatless Monday » (lundi sans viande) lancé dans une quarantaine de pays depuis 20 ans, en y ajoutant le poisson. « Ce n'est pas la première fois qu'il y a ce genre d'appel, déjà il y a 15 ans il y avait eu Paul McCartney », note Christiane Lambert. Pour la Confédération paysanne, la tribune publiée dans Le Monde est « truffée d'erreurs et de chiffres hasardeux ». « Jamais cet appel ne pointe du doigt la responsabilité des industriels et des distributeurs qui, dans leur course aux prix bas, empêchent la généralisation des pratiques d'élevage les plus vertueuses » poursuit l'organisation par voie de communiqué. « Jamais cet appel ne souligne les bienfaits de l'élevage paysan pour l'environnement, le respect des animaux et le dynamisme des territoires. Jamais cet appel n'évoque que de nombreuses terres agricoles (estives, alpages, prairies permanentes) ne peuvent être valorisées que par l'élevage extensif ». La Confédération paysanne diffusera prochainement un plaidoyer en faveur de l'élevage paysan, sous la forme d'un recueil de paroles d'éleveurs et d'éleveuses.