Avec France Carbon Agri, la décarbonation de l’élevage dans les starting-blocks

Initiée par le Cniel et Interbev, la méthode de comptabilisation des émissions et séquestration Carbon Agri sera très prochainement certifiée Label Bas Carbone. Elle ouvre la voie à une rétribution financière des exploitations s’engageant dans un processus d’amélioration du bilan carbone sur un pas de temps de 5 ans. L’association France Carbon Agri s’apprête à lancer ses premiers appels à projet.

Dans la colonne « recettes d'exploitation », il va bientôt falloir ajouter une ligne, qui pourrait avoir l'intitulé suivant : « prime perçue au titre de l'amélioration du bilan carbone par réduction des émissions et/ou accroissement de la séquestration du carbone dans les prairies, les arbres et les haies ». Il n'y aura pas autant de « 0 » et d'euros qu'il n'y a de lettres dans l'intitulé, on va y revenir. Mais l'inscription du carbone dans un bilan comptable, et au-delà dans la conduite au quotidien d'une exploitation agricole, marque un tournant historique, pour ne pas dire vital, afin de ne pas laisser l'agriculture sur le bas-côté de l'Histoire, dans un contexte où plus aucune personne, plus aucune entreprise, plus aucun secteur économique ne pourront se cacher derrière leur petit doigt.

Cet aboutissement est le fruit d'un travail initié par le Cniel et Interbev à l'orée des années 2010. Les rapports successifs du Giec lèvent définitivement les doutes sur le caractère anthropique du changement climatique à l'œuvre, sous l'effet des émissions de gaz à effet de serre que sont le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4) et le protoxyde d'azote (N2O). L'agriculture, émettrice directe (gaz entériques) et indirecte (carburant, engrais, aliments...) y a sa part. Celle de l'agriculture française est y même particulièrement prégnante puisqu'elle est responsable de 19% des émissions tous secteurs confondus (dont 49% attribués à l'élevage), quand la moyenne européenne est à 10%. On n'est pas la première puissance agricole de l'UE pour rien, y compris pour ses impacts...

-400 t en moyenne sur 5 ans

En 2013, les interprofessions lait et viande lancent respectivement les programmes Life Carbon Dairy et Beef Carbon, destinés identifier les leviers de réduction d'émission et de séquestration de gaz. « Environ 40 leviers ont été répertoriés », déclare Jean-Baptiste Dollé, chef de service environnement à l'Institut de l'Élevage, cheville ouvrière des programmes. « Côté émissions, les leviers balaient la conduite du troupeau, son alimentation, la gestion des déjections, la consommation d'engrais et d'énergie. Côté séquestration, on s'est penché sur le travail simplifié, les cultures intermédiaires, les couverts, l'agroforesterie, les haies. Résultat : une exploitation moyenne dispose d'un potentiel de réduction d'empreinte carbone de 14%, soit l'équivalent de 350 t à 400 t sur 5 ans ». 14%, c'est légèrement en-deçà des 15 à 20 % des objectifs que se sont fixées les interprofessions. « Il s'agit d'une moyenne, et l'avenir réservera peut-être d'autres marges de manœuvre », précise Jean-Baptiste Dolle.

Label Bas Carbone

Pour réaliser ce travail exploratoire, impliquant 12.000 exploitations, ingénieurs et techniciens mobilisent des outils puissants et scientifiquement inattaquables, tels que la méthode de diagnostic CAP'2ER. Un choix bien avisé : c'est ce qui permet au Cniel et à Interbev de prétendre au Label Bas Carbone, intronisé au printemps dernier par le ministère de la Transition écologique et destiné à favoriser les initiatives s'inscrivant dans la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) et la trajectoire de neutralité carbone de la France à l'horizon 2050. La méthode Carbon Agri devrait décrocher son Label Bas Carbone d'ici à la fin du mois de septembre. Elle consiste à réaliser deux diagnostics CAP'2ER de niveau 2, c'est à dire le plus exigeant, à 5 ans d'intervalle et, par différence, à calculer la baisse effective de l'empreinte carbone exprimée en tonnes.

Premiers appels à projet

Lorsque la méthodologie Carbon Agri sera officiellement labelisée, les premiers appels à projets pourront être effectivement lancés. Ils le seront par l'intermédiaire de France Carbon Agri Association (FCAA) une association destinée à faire l'interface entre les porteurs de projets, c'est à dire les éleveurs à titre individuel ou collectif et les financeurs privés et publics, c'est à dire les entreprises et les collectivités territoriales désireuses d'acheter des crédits carbone dans le cadre de leur stratégie de compensation carbone, le tout en lien avec le ministère de la Transition écologique chargé de labelliser les projets. « France Carbon Agri est une structure de gestion et de coordination de projets territoriaux », explique Marie-Thérèse Bonneau, secrétaire générale de la Fnpl, présidente du directoire Ferme laitière bas carbone. « L'association est mue par des valeurs d'efficacité, d'optimisation des ressources et de transparence financière. L'idée est de fédérer les projets pour que les bénéfices ne soient pas oblitérés par les coûts de mise en œuvre ».

Prime carbone et co-bénéfices environnementaux

L'association France Carbon Agri s'est fixée la feuille de route suivante : engager 500 exploitations des réseaux expérimentaux Fermes laitières bas carbone et Beef Carbon au cours de l'automne prochain, puis, au 1er semestre 2020, 450 fermes lait et viande relevant du programme européen Life Sustainable Catlle et encore 450 autres fermes durant ce même semestre. Au Salon de l'agriculture, l'association devrait être en mesure de dévoiler le nom des premiers acheteurs de crédits carbone agricoles. La mairie de Paris ainsi que d'autres agglomérations ou encore Paris 2024 (jeux olympiques) ont déjà fait connaître leur intention de s'engager.

Au plan financier, quelles sont les sommes en jeu ? « Le marché du carbone, c'est 10 à 15 euros la tonne », répond Jean-Baptiste Dollé. « Sur la base d'une moyenne de 400 t sur 5 ans, on n'est pas dans la manne financière mais dans le coup de pouce. Compte tenu des enjeux climatiques, de nombreux acteurs publics et privés vont nécessairement se tourner vers la compensation carbone, même si on se situe dans le marché volontaire et pas réglementaire avec notre démarche. Les agriculteurs peuvent aussi escompter négocier la contribution de co-bénéfices environnementaux s'ajoutant à la réduction de leur empreinte carbone, tels que l'amélioration de la biodiversité ou la réduction des nitrates. A nous, au sein de France Carbon Agri, de négocier par exemple jusqu'à 20 € la tonne de carbone, en intégrant ces bénéfices ». La rétribution interviendrait pour partie en cours d'exercice du projet, le solde étant versé à l'échéance sur la base des résultats délivrés par le diagnostic à la sortie.