Quelle logique derrière l'homologation ou l'interdiction de substances actives?

Le « JA mag » s’est penché sur la question. Il y a une quinzaine d’années, les producteurs manifestaient contre la concurrence des pays tiers. Aujourd’hui, les discours se focalisent sur la concurrence intra-européenne, faute d’harmonisation.

En Europe, le règlement n°1107/2009 du 21 octobre 2009 encadre l'homologation et la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques

Concrètement, les substances actives sont homologuées au niveau européen, puis font l'objet d'autorisations de mise sur le marché. Ces AMM relèvent de la décision de chaque État membre. Pour susciter une demande d'autorisation de mise sur le marché, on peut utiliser les données fournies par un autre pays membre de l'UE de la même zone, c'est ce que l'on nomme la reconnaissance mutuelle.

En 2011, Bruxelles a instauré un zonage des évaluations et des autorisations des produits phytopharmaceutiques. Depuis, l'Europe est découpée en trois zones. Ces zones regroupent les pays membres dont les conditions pédoclimatiques et agronomiques sont similaires. La France fait partie de la zone Sud qui inclut la Bulgarie, Chypre, l'Espagne, la Grèce, l'Italie, Malte et le Portugal. Un nouveau produit autorisé par l'un des pays de la zone peut donc l'être dans les autres pays de la zone (sauf opposition justifiée d'un État membre), si la demande en est faite lors du dépôt du dossier d'AMM.

Pour les usages et les cultures d'intérêt en France, les firmes déposent dans la majorité des cas des demandes d'AMM pour l'Hexagone. Le résultat de l'évaluation et l'autorisation finale dépendent des éléments transmis par les firmes. Ces éléments doivent être conformes aux exigences européennes et font l'objet d'une évaluation qui prend en compte les conditions agronomiques, de climat et de sols propres à chaque État membre.

Chaque État membre prend donc les décisions relatives aux demandes liées aux produits déposées par les détenteurs d'AMM. Les autorisations étant délivrées par usages, ce concept n'est pas homogène au niveau européen. Ceci explique  l'hétérogénéité des situations en Europe.

L'exemple de la fraise

En Espagne, pour lutter contre le puceron, le pays a homologué le thiamétoxam, molécule commercialisée sous le nom commercial Actara. « Nous avons 12 espèces de pucerons en France. Ce produit ne serait pas efficace pour l'ensemble de ces pucerons. Par ailleurs, ce produit est un néonicotinoïde, un ensemble de molécules qui seront interdites en 2018, explique Caroline Granado, directrice de l'AOPn Fraise. Par contre, nous travaillons sur la protection biologique intégrée en finançant une thèse sur la biologie du puceron. » Une stratégie qui doit permettre de répondre aux attentes des consommateurs qui s'inquiètent de plus en plus de la présence des pesticides dans l'alimentation.

L'AOPn Fraise participe également à un groupe de contact avec les associations de producteurs de fraises espagnols et italiens. Il permet d'échanger sur les surfaces, sur les questions de législation européenne, sur les marchés à l'export et aussi sur la protection phytosanitaire, permettant d'envisager des coopérations.

Il arrive aussi que ce soit l'État qui décide d'interdire une substance, ce fut le cas pour le diméthoate, utilisé notamment en cerises en France. L'Espagne et l'Italie avaient suivi le mouvement et interdit cette substance active. En juin 2016, l'Anses interdisait 132 herbicides associant la substance active glyphosate au co-formulant POE-Tallowamine. Les exemples peuvent être multipliés, car chaque année, l'Anses reçoit plus de 300 demandes de mise sur le marché ou de renouvellement d'autorisation.

Les différences d'homologation entre États membres sont multifactorielles

« Des substances approuvées au niveau européen peuvent ne pas disposer d'autorisation de mise sur le marché de produits dans certains pays, rappelle l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses). Les raisons peuvent être multiples : soit parce que la culture ou le bioagresseur visé sont peu présents, voire absents dans le pays et que le détenteur n'a pas déposé de dossier, soit parce que l'évaluation du produit réalisée dans le pays, qui prend en compte la diversité des situations rencontrées dans ce pays en particulier (risques vis-à-vis de l'environnement, sols et climats propres à chaque État membre), ne conduit pas à un résultat favorable pour ce territoire. »

Aurélien Soubeyrand, administrateur national de JA en charge du dossier fruits et légumes

Nous demandons à l'Anses de réaliser une étude d'impact pour chaque retrait. Depuis quelques années, nous remarquons que l'interdiction de certaines substances actives s'accélère, ce qui peut être bénéfique pour les consommateurs et pour les agriculteurs. Mais ces interdictions peuvent se faire au détriment des utilisateurs lorsqu'il n'y a pas d'alternatives ou qu'elles entraînent un surcoût important. Il ne faut pas nous laisser face à des impasses techniques et sans réponse pour l'avenir. Nous demandons à l'Anses de réaliser une étude d'impact pour chaque retrait et de fournir des solutions adaptées, efficaces et économiquement rentables. L'utilisation raisonnée des produits phytosanitaires est aujourd'hui une nécessité sociétale et économique. La majorité des agriculteurs la pratique déjà. Le fait d'avoir une législation nous permet une reconnaissance à l'international de la qualité des productions françaises, ce qui nous ouvre des marchés à l'export. L'exemple le plus récent de cette réussite, c'est l'ouverture du marché asiatique aux pommes françaises.

Point de vue de Gérard Roche Vice-Président de légumes de France

On parle souvent de pesticides utilisés en Espagne et non en France. Quelle réalité recouvre cette affirmation ?

Oui, les Espagnols ont plus de spécialités utilisables sur plus de cultures et usages phytosanitaires que nous et en ont gardé certaines que nous n'avons plus, ce qui peut constituer de la distorsion de concurrence. Aujourd'hui, demander les mêmes avantages que l'Espagne irait de toute façon à contre-courant de ce que les consommateurs demandent. C'est aussi mieux en matière d'image.

L'AOPn Fraise a décidé de travailler sur la lutte biologique intégrée contre le puceron pour apporter notamment une réponse aux consommateurs de plus en plus soucieux à l'idée de retrouver des pesticides dans leurs assiettes. La France n'a-t-elle pas une carte à jouer en développant des alternatives ? Nous avons créé le Gis Piclég à Légumes de France avec l'Inra et le CTIFL il y a dix ans pour développer la protection intégrée des cultures légumières en associant les stations régionales d'expérimentation et les chambres d'agriculture. Il s'agit de concevoir et de proposer des systèmes respectueux de l'environnement et économiquement performant en cultures légumières. Nous avons avancé sur la solarisation, les engrais verts, les plantes nématicides et le biocontrôle...

Nous savons que ce dossier est compliqué, que le chemin est difficile. Mais cela veut dire que nous, agriculteurs français, avons un temps d'avance sur les autres pays. Nous n'avons jamais été aussi vertueux ! Cependant, il nous est difficile de communiquer sur les efforts faits pour réduire les produits phytosanitaires. Nous savons communiquer auprès des professionnels. C'est plus difficile auprès du grand public. Dire que nous utilisons moins de pesticides que nos voisins n'est pas le bon axe de communication, car cela entacherait l'image globale des produits visés. Il faut trouver comment communiquer positivement.

En fraises par exemple, malgré les différences de prix, la fraise française a gagné des parts de marché, grâce à son positionnement haut de gamme et à ses qualités gustatives. Nous avons créé une Ferrari de la fraise. Cette démarche porte ses fruits !

Il existe des groupes de contact avec nos homologues européens, sur quels thèmes permettent-ils d'avancer ? Il existe en fraise et intègre nos homologues espagnols et italiens. Il s'agit notamment d'avancer sur une harmonisation de l'usage des phytosanitaires, au moins sur les usages mineurs. Ce type de groupe pourrait être développé pour d'autres productions. Dans deux ans, la réglementation européenne sur les autorisations de mise sur le marché et sur les résidus doit évoluer. Nous travaillons déjà avec l'administration française avec l'appui de nos instituts techniques pour être force de propositions afin de la simplifier.

Source : JA mag n°739 juillet/août 2017