Serres photovoltaïques : entre l’ombre et la lumière

Les serres photovoltaïques sont entrées dans le paysage professionnel avec beaucoup d’opportunisme et peu de réussite. Leur développement passera par un véritable partage des photons entre la production électrique et les cultures pour permettre une activité agricole rentable.

Le photovoltaïque (PV) est à la croisée de l'enjeu des évolutions climatiques et de l'utilisation des énergies, et l'agriculture au cœur du sujet. Sur les 40 000 projets solaires actuellement raccordés, la moitié vient du secteur agricole (chiffres du ministère de l'Environnement). Et l'avenir est radieux avec l'ambitieux « plan solaire » de 30 gigawatts (GW) d'ici 2035 soit 30 000 ha de photovoltaïque (1 ha de panneau PV = 1 mégawatt (MW)). Une partie des surfaces nécessaires concernera des bâtiments, des parkings, des friches industrielles... L'autre, des terres agricoles ou des espaces naturels, ce qui attise des convoitises de la part d'investisseurs et d'élus, mais aussi génère certaines inquiétudes et oblige au raisonnement de l'aménagement du territoire. D'autant que les projets passent à une nouvelle dimension avec la plus grande ferme photovoltaïque d'Europe, au cœur des Landes de Gascogne, qui couvrira 1 493 ha pour fournir 931 MW.

Un « deal » alléchant pour des producteurs

De fait, l'agrivoltaïque associant activités agricoles et production électrique paraît une solution vertueuse et a de quoi séduire. Les serres PV apparaissent comme une voie royale, ajoutant en plus la création d'emplois. L'Ines, l'Inra et Cea tech viennent donc de leur consacrer une conférence intitulée « Photovoltaïque et agriculture, opportunisme ou opportunité ? », le 13 mars à Montpellier. Christine Poncet, Inra institut Sophia Agrobiotech, y a rappelé le début des serres PV en France en 2007, avec l'arrivée en force des porteurs de projets du secteur de l'énergie renouvelable en 2008-2009. Le prix de rachat (très) attractif a ainsi permis d'implanter plus de 150 ha en quelques années sur un parc de serres PV actuellement estimé à plus de 400 ha, avec des projets en cours. Dans la plupart des cas, il s'agit d'un partenariat signé entre producteurs d'énergie et agriculteurs : le premier investissant dans la serre PV et empochant les revenus de la vente de l'électricité, le second mettant à disposition son terrain pour une durée de 20 à 30 ans et disposant de la serre (non équipée), le plus souvent à titre gracieux pour assurer une activité agricole sur cette durée. Un « deal » alléchant, pour des producteurs disposant d'un « outil », sans en faire l'investissement. L'intérêt a été de voir l'arrivée de capitaux, autres qu'agricoles, dans un secteur défaillant sur le plan des investissements. Différentes notes et travaux d'expérimentation (Ademe, Inra, Groupe de travail du MAAP) ont modéré cet enthousiasme en mentionnant le manque de transmission lumineuse des serres PV dû à la couverture du versant sud par les panneaux photovoltaïques, représentant souvent 50 % de la toiture. « Nos travaux d'évaluation et de modélisation du climat ont montré des baisses de 46 % de transmission lumineuse sous les serres PV de type venlo », mentionne Christine Poncet. Après le rappel par Arianne Grisey, ingénieure Ctifl, de l'importance de la lumière - « 1 % de perte de luminosité = 1 % de perte de rendement » - et l'importance de l'aération dans la conduite climatique des serres, on peut s'interroger sur la compatibilité entre photovoltaïque et production végétale. Les serres photovoltaïques seraient-elles un non-sens agronomique ?

Disposer de références techniques

Les avis des utilisateurs : maraîchers, fraisiculteurs, horticulteurs et techniciens sont très partagés, et s'évaluent au cas par cas selon les choix de cultures, les itinéraires et le niveau de valorisation des productions (voir page 8). Ces témoignages ne doivent pas cacher une réalité parfois sombre. Selon les observateurs, 80 % des serres PV actuelles ne sont pas ou peu productives. Certaines sont des serres « alibi » dont l'objectif premier a été de produire de l'électricité sans jamais être mises en culture. Mais d'autres cas sont plus délicats, voire dramatiques, avec des agriculteurs ayant immobilisé une partie de leur SAU sans pouvoir aujourd'hui en tirer un revenu suffisant. Même si les prix de rachat électricité des serres PV ont fortement baissé, passant de 60 cts d'euro du kWh au début à environ 12 cts aujourd'hui, il reste un des plus élevés sur le marché. De plus, pour les « producteurs d'énergie », la serre PV est toujours très valorisante avec des critères d'évaluation permettant de se positionner en bonne place devant la CRE (Commission de régulation de l'énergie) qui attribue les projets par appel d'offres. Les entreprises des énergies renouvelables sont donc toujours en quête d'agriculteurs pour « accréditer » leurs projets. Au cours de la conférence, les témoignages des producteurs et techniciens ont largement mentionné l'importance de l'innovation en matière de technologie pour une amélioration de leur transmission lumineuse mais aussi la nécessité de disposer de références techniques sur le choix des cultures, les itinéraires techniques, les débouchés visés... mais par quelle voie ?

La réalité de couplage agrivoltaïque

L'Inra Sophia Agrobiotech, la station régionale de l'Aprel en Provence mais aussi des Chambres d'agriculture, GRCETA, Inra PSh d'Avignon travaillent sur cette "étape expérimentale" car les serres PV dévraient devenir de vrais "outils" de production agricole. Les représentants de l'administration (DREAL, DDTM, ministère de l'Environnement) ont fait part d'une vigilance accrue. Conscient des dérives, la CRE s'est dotée d'un comité d'instruction chargé d'évaluer la réalité de couplage agrivoltaïque des projets, voire se réserve le droit de requalifier le tarif de rachat de l'électricité s'il y a défaillance d'activité agricole. En Sardaigne qui compte environ 200 ha de serres PV, les mêmes dérives ont été constatées. « Le non-respect de la réglementation s'est parfois soldé par des peines d'emprisonnement », témoigne Marco Cossu, Université Sassari. « L'Etat français n'est pas engagé dans une massification des serres PV et souhaite réguler les projets tout en étant attentif à l'innovation », ont précisé ses représentants. Selon Christine Poncet, « il faut passer le cap de l'innovation pour aboutir à des systèmes mixtes de production agricole et photovoltaïque avec un vrai partage des photons ». Ahmed Baroudi, Directeur général de la Société d'investissements énergétiques du Maroc, a prêché pour « une matrice de transfert entre Inra et Ines pour faire se rencontrer deux mondes ». On peut toutefois noter que la filière progresse sous l'impulsion des critères de régulation et l'intérêt porté par certains constructeurs. « Certains nouveaux projets proposent des dispositifs homogénéisation de la lumière à l'intérieur de la serre, l'usage de matériaux anti condensation, des systèmes de ventilation redimensionnés... Une nouvelle ingénierie qui doit encore faire ses preuves », précisent les représentants des DREAL des régions Occitanie et PACA. Dans l'avenir, le photovoltaïque et l'agriculture pourraient aussi s'orienter vers de nouveaux systèmes autres que la serre (voir encadré).

Des producteurs et techniciens témoignent

Le retour d'expériences d'agriculteurs et techniciens a été un moment important de la journée photovoltaïque et agriculture. Guillaume Fouquou, maraîcher près de Manosque, s'est montré satisfait des 3,5 ha de serres PV qu'il exploite depuis 2017 avec une large gamme de légumes : carotte, fève, navet, poivron, tomate, melon, fraise, tous destinés à approvisionner son magasin de producteur. « Je ne recherche pas la précocité ni le rendement, je valorise bien mes productions et je n'ai pas à supporter les charges de l'investissement de la serre », témoigne-t-il. Cette « production low cost » participe à la rentabilité de son exploitation avec un projet de construction à venir. Pour Eric Tovo, fraisiculteur en Lot-et-Garonne, les 2,5 ha de serres PV qu'il exploite depuis quatre ans, s'intègrent dans un parc d'abri plastique dédié à la fraise. Dans son cas, produire sous serre PV a d'abord été problématique. « Il ne faut pas démarrer sur des références techniques d'une serre conventionnelle. Tout doit être minimisé, tant le niveau des équipements que les densités, avec des rendements aussi réduits », raconte-t-il. L'agriculteur déplore le manque de soutien et d'accompagnement de la part du constructeur. « J'ai payé pour apprendre, en assumant le coût de l'expérimentation », relève-t-il. Benjamin Fourmillier, horticulteur entre Hyères et Toulon a produit pour la première année des roses sous serre PV. « J'ai d'abord été exigeant sur la serre, en veillant à l'orientation, la hauteur et l'aération. Puis, j'ai adapté l'itinéraire cultural sans chercher à produire en période hivernale. Au final, j'ai produit moins de tiges, mais avec plus de rentabilité », assure-t-il.

Deux à trois fois moins qu'un abri plastique neuf

L'enthousiasme de François Viot est allé en décroissant. Producteur de cresson près d'Agen et précurseur sous serre PV depuis 2011, il fait un constat plus radical. « Il n'est pas possible de produire dans les serres PV actuelles. Il ne faut pas chercher des adaptations culturales mais tendre vers de l'innovation technologique qui permettra un meilleur partage des photons. Il faut espérer une nouvelle génération de cellule photovoltaïque, laissant passer une partie du spectre lumineux favorable à la photosynthèse des plantes. Sans cela, ça ne marche pas. » assure-t-il. Une affirmation consolidée par les résultats de Claire Goillon (Aprel) obtenus dans trois serres PV en Provence. Dans une serre couverte à 50 % par des panneaux PV, la transmission lumineuse photosynthétique est évaluée selon les saisons entre 20 et 30 %, soit deux à trois fois moins qu'un abri plastique neuf. Les observations agronomiques sur une quarantaine d'espèces ont mis en évidence des cycles très longs avec un retard de récolte de trois à quatre semaines et un rendement affecté de 50 à 70 %, selon les cultures. De par son expérience, Elie Dunand, consultant spécialisé en cultures légumières suivant plusieurs serres PV, pense qu'elles peuvent permettre la production de cultures sensibles à la forte luminosité estivale, comme les plantes aromatiques (menthe) et des légumes feuilles (céleri, persil). L'asperge peut également être envisagée, mais selon lui, il est difficile d'y produire des légumes fruits.