Du semis direct sous couvert en bio, en bandes et en "opportuniste"

Lauréat du prix de l'innovation des Trophées de l'agroécologie en 2017, Félix Noblia est un agriculteur qui mène un travail exploratoire en semis direct sous couvert. Il s’oriente vers un travail en bandes et une exploitation "opportuniste" des associations entre cultures et couverts.

Le semis direct sous couvert en bio, possible ou impossible ?

Félix Noblia : clairement, on n'y est pas encore. On a des réussites, on a des échecs, on sait dire pourquoi ça a marché, pourquoi ça a raté, mais il nous faudra encore quelques années pour être certain, ou presque, de réussir à chaque fois. On réussit des sojas derrière des seigles, on réussit des maïs derrière des couverts de légumineuses. Le problème c'est que l'on n'est pas encore capable de les reproduire systématiquement. Il y a des facteurs que l'on ne maîtrise pas. Il nous manque des clés agronomiques.

Quelles sont ces clés agronomiques manquantes ?

Félix Noblia : on peut citer la levée de dormance de plantes vivaces qui peuvent être plus ou moins inhibées avec l'utilisation d'autres plantes vivaces dans l'interculture. Mais là, on joue avec des couverts permanents et c'est extrêmement complexe en terme de gestion de compétition et de fertilité. On est dans une complexité telle que l'on n'a pas encore identifié l'ensemble des facteurs nous donnant des gages sérieux de réussite. En mobilisant des d'outils informatiques, avec de la modélisation participative et du partage de savoir-faire, on a des marges de progrès.

Quelles sont les avancées notables d'ores-et-déjà effectives ?

Félix Noblia : une des pistes travaillées par Arvalis ou encore le programme Agr'Eau consiste à avoir une approche en bande, avec une alternance des rangs cultivés et de rangs implantés de couverts, lesquels sont maîtrisés au moyen de différents outils mécaniques inter-rangs tels qu'en proposent des constructeurs comme Eco-Mulch, Oekosem ou Roll'n'Sem. Dans ces itinéraires, on ne parle plus exactement de semis sous couvert mais de travail du sol superficiel, de travail en bande. Ce sont des pistes de travail intéressantes, qui ouvrent la voie à de nouvelles techniques telles que le relay-cropping. 

Où en êtes-vous de vos propres expérimentations ?

Félix Noblia : cette année, je vais adopter une stratégie que je qualifie d'opportuniste. Elle consiste à semer des mélanges binaires sur la quasi-totalité des surfaces, des mélanges qui, selon la façon dont se comportera l'année, seront soit moissonnés, soit exploités en fourrage pour les animaux, soit en couverts, mais je ne peux pas dire à l'avance quelle sera la destination de telle ou telle parcelle. Si l'on connaît les conditions dans lesquelles on sème, on ne sait rien de la suite du cycle de culture. Et comme on ne peut pas prévoir, on est obligé d'avoir une gestion opportuniste, et alors, on peut se permettre ainsi d'avoir des itinéraires avec très peu de travail du sol voire pas du tout sur certaines séquences.

Qu'en est-il de la fertilisation en bio, autre facteur limitant ?

Félix Noblia : la problématique, c'est d'empêcher les fuites du système, à savoir l'érosion et l'exportation. Dès que l'on travaille le sol, que l'on fait du désherbage mécanique, on se met dans des conditions d'érosion. Dès que l'on exporte de la paille, du fourrage ou du grain, on se met dans des conditions d'exportation. Soit on rajoute ce que l'on exporte, soit le sol est capable de le mobiliser. Si on veut parler de durabilité et de système futuriste de l'agriculture, on ne peut plus imaginer de l'AB sans complémentarité entre cultures et élevage. On a trop de pertes de fertilité des systèmes avec travail du sol pour imaginer faire de la grande culture bio. La question de la disponibilité des engrais organiques est un vrai sujet : aujourd'hui, si on veut faire un maïs correct, il faut mettre 600 euros de fientes à l'hectare à peu près. Le futur règlement sur les effluents d'élevage ne va pas arranger la situation.