Les robots des champs, c’est maintenant !

Les constructeurs s’apprêtent à lâcher leurs robots dans la campagne et à en industrialiser la fabrication. Il n’y a plus qu’à tourner la clé. Ou plus exactement à effleurer l’écran de son smartphone. Car le robot, ce n’est pas seulement un tâcheron, c’est aussi un pourvoyeur de données.

A quand le lâcher de robots dans les champs ? 2025, 2030 ? « 2020 » répondent de concert Cédric Bache, co-fondateur de Vitibot et Fabien Arignon, directeur de Sitia. Dans les allées du Fira, le Forum international de la robotique agricole, dont la 4ème édition s'est déroulée à Toulouse, les concepteurs de robots n'avaient pas besoin de boule de cristal pour deviser sur le futur de leurs tracteurs-porteurs autonomes. « En 2014, lorsque l'on a commencé à travailler sur Trektor, un robot hybride pour la vigne, le maraichage et l'arboriculture, on avait imaginé le point de bascule autour de 2020 », poursuit Fabien Arignon. « On ne s'est pas trompé : notre robot est aujourd'hui finalisé, nous avons livré nos premiers clients, tandis que des concessionnaires s'apprêtent à se positionner pour le distribuer et en assurer la maintenance. Nous abordons désormais la phase industrielle ».

Agriculture 4.0

L'industrialisation : c'est ce qui signe véritablement l'acte de naissance d'un produit. Cette étape-là, que le tracteur agricole a franchie à l'aube du 20ème siècle (voir encadré), Naïo Technologies va aussi l'aborder en 2020, six ans après la commercialisation de son robot maraicher Oz sur ses terres occitanes. Quant à la champenoise Vitibot, elle s'apprête à lever 10 millions d'euros pour passer de la production unitaire à la production industrielle de ses Bakus. « Après les pré-séries déployées en Champagne, Bakus est désormais au catalogue en deux versions pour vignes hautes et vignes basses », indique Cédric Bache. « Dès 2020, nous allons le déployer dans les vignobles de Bordeaux et de Bourgogne ».

Aux antipodes de l'Hexagone, en Australie, c'est sur un tout autre terrain de jeu et sous d'autres formes que se déploie la robotisation. « L'Australie, c'est environ 4000 agriculteurs principaux cultivant chacun plus de 10 000 ha », déclare Rohan Rainbow, consultant spécialisé en agriculture, présent au Fira. « Pour déjouer l'ennui des chauffeurs, difficiles à recruter, nous avons développé des solutions permettant d'automatiser les tracteurs existants ». Sur le continent nord-américain, la robotisation des cultures céréalières est aussi dans la ligne de mire des constructeurs. Au dernier Agritechnica, sur une plateforme dédiée aux nouvelles technologies, John Deere a présenté un tracteur électrique autonome, d'une puissance de 500 kW, équivalant à 200 ch. « Il ne s'agit que d'un concept », commente Peter Pickel, directeur-adjoint du Centre européen d'innovation technologique chez John Deere. « Nous pensons que l'usine 4.0, faite d'automates, va se transposer à l'agriculture dans les années venir. Mais une décennie sera peut-être encore nécessaire pour la voir émerger ».

Tous continents, tous secteurs

Toujours en grandes cultures, CNH (Case New Holland) est aussi à l'avant-poste. Au Sima 2017, le groupe avait présenté un Magnum autonome sans poste de conduite ainsi qu'un T8.410 (410 ch) pilotable à distance au moyen d'une tablette mais réservant encore un poste de conduite pour maximiser la polyvalence (manutention, transport...). En 2018, le groupe a commencé à confronter ses innovations à l'épreuve du terrain. C'est ainsi que les Quadtrac (articulés à chenilles) et Steiger (articulés à pneus) autonomisés ont été testés par Bolthouse Farms, l'un des plus gros producteurs de carottes Amérique du Nord, tandis que le T4.110F autonome s'est invité dans vignobles de E. & J. Gallo Winery, disséminés dans les États de Californie et de Washington.

En Amérique du Sud, au Chili, le groupe Hortifrut, qui s'affiche comme le premier producteur mondial de baies (fraises, framboises, myrtilles...), avec une présence dans 40 pays, lorgne sur l'automatisation de la récolte. « En 2015, 10 milliards de dollars ont été investis dans les projets de robotisation au plan mondial, tous projets confondus», déclare José Miguel Arizabalo, responsable de la transformation numérique du groupe. « En 2019, on devrait atteindre les 20 milliards de dollars. En ce qui concerne la récolte des baies, l'automatisation reste un défi, qui devrait réclamer encore trois à cinq ans avant de commencer à se concrétiser ».

L'élevage précurseur

Est-elle plus « sorcière » que l'automatisation de la traite, qui opère sur du vivant et qui affiche déjà 25 ans d'antériorité au compteur à lait ? En matière de robotisation, c'est en effet l'élevage qui a pris une longueur d'avance, en commençant par l'alimentation avec l'apparition des premiers distributeurs automatiques de concentrés (Dac) dans les années 1970 sous l'égide de DeLaval, précédant les systèmes d'alimentation dédiés aux veaux, puis les wagonnets distribuant la ration de base aux troupeaux ovins et caprins. En 1992, Lely automatise la traite avant de vendre son premier Astronaut en 1995. En France, en 2019, près d'une vache sur cinq passe entre les trayons des différents constructeurs de robots. Paillage et raclage sont aussi de la partie. Cet automne, l'entreprise landaise Dussau a décroché un double trophée, au Space et au Sommet de l'élevage, pour son robot pailleur intelligent Sentinel 2.

Les ruminants ne sont pas les seuls concernés. En 2016, Laëticia et Benoit Savary, éleveurs de poules reproductrices en Mayenne, décident d'en finir avec une autre astreinte que la traite. Laquelle ? « Celle consistant à marcher 10 à 15 km par jour tête baissée dans les bâtiments pour inciter les poules à pondre dans les nichoirs et à ramasser en même temps les centaines d'œufs pondus au sol, le tout pendant cinq ou six semaines dans le meilleur des cas », expliquait l'aviculteur présent au Fira. « En général, les salariés fuient avant deux semaines. C'est une tâche exténuante, qui n'est pas sans risques psycho-sociaux. En volailles de chair, le robot prévient les risques de maladies liées à l'inertie des volailles au contact de la litière. Selon moi, le bien-être animal et le bien-être des éleveurs sont indissociables, le tout assorti de gains de productivité. Certains de nos clients rentabilisent le Spoutnic en moins d'un an ». Tibot, la start-up que le couple a créée en 2016 avec d'autres actionnaires, vient de lever 3 millions d'euros pour asseoir, en France et à l'international, le développement de Spoutnic et Spoutnic Nav, les deux robots au catalogue.

Plus de bénéfices que de freins

On commence à toucher là au « pourquoi » des robots : réduction de l'astreinte et de la pénibilité, amélioration de la qualité de vie (des animaux, des agriculteurs, des salariés), attractivité des métiers, revalorisation des tâches, productivité (travail, rendements). La durabilité est aussi flattée via la prééminence de l'énergie électrique. Dans le cas des petits robots, c'est la prévention du tassement des sols, un des facteurs d'altération de la fertilité, qui est aussi visée. On n'oublie pas les perspectives offertes en matière de sobriété phytosanitaire, telle que l'illustre Ecorobotix avec son robot désherbeur de précision.

Pour John Deere, la robotisation est indissociable du smart farming. « Les données fournies par les capteurs embarqués sur les machines sont des facteurs de compétitivité et de différenciation concurrentielle », énonce-t-il. « Le smart farming participe également à accroître la visibilité et la transparence de l'agriculture auprès du grand public ». Une position que ne dément pas Rohan Rainbow. « L'Australie, qui exporte l'équivalent de 70% de sa production agricole, est dépendante des marchés extérieurs. La donnée sera une clé d'accès aux marchés ».

Parmi les freins identifiés figure la réglementation encadrant les robots évoluant en milieu ouvert, et qui pourrait brider l'essor des robots. « Oui et non », avance Joan Andreu, responsable de la R&D chez Naïo Technologies. « Oui parce que le principe d'une réglementation, c'est d'imposer des normes et il faut faire avec. Non parce que l'on fait figure de défricheurs et que l'on participe à la co-construction des normes ». On n'oublie pas la rentabilité. Sitia et Vitibot, dont les Trektor et Bakus s'affichent à plus de 200 000 euros, n'ont aucun doute sur le modèle économique. « Le prix des capteurs ne cesse de baisser », analyse Fabien Arignon. La production de masse devrait, dans une certaine mesure, faire le jeu de la démocratisation. « Certains de nos clients rentabilisent le Spoutnic en moins d'un an », témoigne Benoit Savary. Quant à l'acceptabilité par les premiers intéressés, à savoir les agriculteurs, pas sûr que la question se pose quand on sait que Lely, le pionnier de la traite robotisée, a pour devise : « trouver des solutions que les éleveurs n'imaginent même pas ».