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Agroforesterie : un nouvel outil pour guider les agriculteurs
Présentée comme une solution permettant de tendre vers une agriculture durable, l’agroforesterie a vocation à se développer en France. En lien avec le Grab et l’établissement de formation UniLasalle, l'Inrae vient de mettre au point un outil d’évaluation de la durabilité des systèmes agroforestiers avant leur plantation.
L’agroforesterie a le vent en poupe. Association d’arbres et de cultures végétales, ou d’arbres et d’activités d’élevage, l’agroforesterie trouve ses racines dans des pratiques agricoles ancestrales. Quasi abandonnée dans le cadre de la mécanisation et de la rationalisation de l’agriculture après-guerre, la pratique d’associer arbres et production agricole revient en force ces dernières années, enrichie de nombreuses références agronomiques, pédologiques, écologiques, économiques…
Un système agroécologique exemplaire
Depuis une dizaine d’années, l’agroforesterie est présentée comme l’un des piliers du pacte agroécologique français par le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire. L’Inrae, avec plusieurs partenaires du monde agricole, lui a consacré de nombreux travaux de recherches qui démontrent qu’elle est une voie de transition vers une agriculture durable. A l’échelle mondiale, la FAO, l’agence des Nations unies dédiée à l’alimentation et l’agriculture, reconnaît également que cette pratique, bien conduite, peut mener à une production alimentaire plus durable.
Conséquence de ce plébiscite : l’agroforesterie se développe. En France, elle est souvent accompagnée et subventionnée, dans le cadre de différents programmes, publics ou privés, nationaux ou locaux. « Il n’existe pas de base nationale permettant de suivre le développement de l’agroforesterie en France, car les différents opérateurs ne communiquent pas leurs chiffres », explique Jean-Charles Vicet, conseiller spécialisé en agroforesterie à la chambre d’agriculture des Pays de la Loire. « Ce qui est certain, c’est que dans notre région, elle augmente ».
Estimer les surfaces agroforestières, mission impossible ?
Le dernier point d’étape national semble être l’analyse de la base de données Eurostat Lucas de 2014, qui établissait que la France comptait 1,6 million d’hectares en agroforesterie (surfaces en haies bocagères + agroforesterie intraparcellaire) soit 5,6% de sa SAU. Cependant, l’estimation de l’agroforesterie en France dépend aussi fortement de la définition qu’on en donne.
Ainsi, selon Marie Gosme, chercheuse à l’Inrae de Montpellier, qui participe au projet DigitAF (dont l'un des livrables sera justement d'obtenir des références sur l'agroforesterie), « les données satellites sont insuffisantes pour estimer précisément les surfaces en agroforesterie. En effet, en combinant les données issues d'images satellites Copernicus Tree Cover Density et Corine land Cover, si on prend comme définition de l'agroforesterie "une surface agricole sur laquelle il y a plus de 5% de couverture d'arbres sur un pixel de 100mx100m", on obtient environ 29% de surfaces considérées comme agroforestières en France métropolitaine ».
Selon la chercheuse, cette proportion est probablement surestimée car elle comprend non seulement les arbres isolés, les arbres alignés dans les parcelles, les haies et les petits bosquets intraparcellaires, qui sont bien de l'agroforesterie, mais aussi « tous les pixels à cheval sur les bordures de forêts ». « Pour pouvoir suivre précisément l'adoption de l'agroforesterie, il faudrait intégrer cette information dans le Registre parcellaire graphique, utilisé pour identifier précisément les surfaces agricoles dans le cadre de la PAC, et mis à jour chaque année par les agriculteurs ».
Apprivoiser la complexité
Même en l’absence de données précises, la marge de développement de l’agroforesterie française reste importante pour atteindre les objectifs de réduction des émissions nettes de carbone. Et malgré le gros coup d’arrêt gouvernemental sur les haies bocagères l’an dernier, de nombreux programmes continuent d’encourager la plantation d’arbres.
Toutefois, un système agroforestier est un système complexe, faisant intervenir de nombreuses variables, comme le contexte d’exploitation, la gestion de l’eau, la nature du sol, les stratégies de production ou de commercialisation, l’accès à du matériel arboricole, la propriété foncière… En outre, la notion de durabilité est, elle aussi, complexe, puisqu’elle comporte des dimensions environnementales, économiques et sociales, chacune ayant de multiples composantes.
« Face à cette complexité, on constate que certains projets agroforestiers échouent ou peinent à perdurer », présente Aude Alaphilippe, ingénieure de recherche à l’Inrae, lors d’une conférence donnée le 14 janvier dernier au Sival (Salon des techniques des productions végétales) à Angers.
Pour mieux appréhender cette complexité, l’Inrae, en collaboration avec le Grab et l’établissement de formation UniLasalle, a construit un outil d’approche multicritères, destiné à évaluer les systèmes agroforestiers juste avant plantation. Baptisé Dexiaf, cet outil s’appuie sur l’état des connaissances engrangées depuis plus de 10 ans sur l’agroforesterie, notamment dans le cadre du Réseau mixte technologique agroforesterie. Dexiaf a reçu un Sival de bronze le 14 janvier dernier, dans la catégorie « démarche collective et services » du concours Sival innovation.
Un outil pour évaluer et consolider la durabilité
Concrètement, Dexiaf est un outil informatique sous la forme d’un arbre de décision, dans lequel le porteur de projet agroforestier renseigne 87 critères, sur les volets économiques, environnementaux et sociaux de son projet. Alimenté par des résultats de terrain et les travaux de recherche en cours, Dexiaf va ensuite agréger les données et délivrer une note globale pour chacun des trois piliers de la durabilité et de leurs composantes. Il va également pointer les éléments à améliorer pour rendre le projet plus performant.
« Dexiaf peut être utilisé comme une checklist de tous les éléments à prendre en compte dans un projet agroforestier », décrit Aude Alaphilippe. « Il constitue aussi une aide à la projection, il identifie les points faibles et les points forts des prototypes, ou encore compare différents prototypes ».
Dexiaf est disponible dès à présent gratuitement, via la plateforme nationale Means (Multicriteria assessment of sustainability), fondée par l’Inrae et le Cirad, pour partager des outils d’évaluation multicritère de systèmes agricoles et agroalimentaires. Selon Aude Alaphilippe, la reconnaissance et la notoriété obtenues grâce au prix du Sival pourrait permettre d’engranger quelques financements supplémentaires et améliorer la « convivialité et l’ergonomie de l’outil ».