Des femmes « premières de cordée » à leur manière

Dix années bientôt que l’association Dfam 03 (Développement féminin agricole moderne de l’Allier) a vu le jour. Notre mission ? Valoriser le rôle et la place de la femme en agriculture, dans son exploitation, dans la profession, mais également au sein de la société.

Dix années déjà au fil desquelles les agricultrices de l'Allier ont su créer un réseau social "de terrain", un lieu d'écoute, d'ouverture et de partage où chacune se ressource, s'épanouit, un collectif où la parole se libère sans jugement. Disruptives, les agricultrices cassent codes et clichés. Elles sont là où on ne les attend pas, s'engagent au quotidien pour sortir les femmes rurales de l'isolement, les former, les informer. Des convictions, un besoin d'agir, plus d'exigence, plus de sensibilité aux attentes sociétales, moins de tabous pour extérioriser les ressentis, pour tirer des sonnettes d'alarme : les femmes voient l'agriculture sous un angle plus humain. Dfam 03 brise donc les tabous, avec par exemple le livret-clip Mal de Terre, qui sensibilise les agriculteurs aux risques psychosociaux pour lutter contre la spirale des suicides. Dfam s'investit aussi contre les violences faites aux femmes, les stéréotypes de genre et milite pour l'égalité des droits dans le respect et la complémentarité. Pourtant, en agriculture, plus encore qu'ailleurs, les inégalités perdurent. L'évolution et la visibilité des agricultrices restent un combat incessant. Bien sûr, être agricultrice en 2017, c'est un vrai choix. On le crie haut et fort, ce n'est plus être dépositaire d'un héritage plus ou moins voulu, voire subi.

Les femmes représentent un quart des chefs d'exploitation. Mais il est important de souligner qu'une grosse proportion souhaite améliorer le montant de sa retraite ou assure en fait la transition entre la retraite de leur mari et la future reprise de l'exploitation par un enfant ou un tiers. La femme s'efface, fabrique le successeur – un fils de préférence – assure le relais, encore et toujours avec l'objectif principal d'assurer la transmission du patrimoine. 9 conjoints collaborateurs sur 10 sont des femmes ! 2 000 à 5 000 femmes exercent encore sans statut juridique, sans droits pour la retraite, avec de gros soucis en cas de divorce ou de décès du conjoint.

Les rapports de genre résistent ! Trop de femmes – l'enquête et le symposium organisé sur la "famille agricole" le mettent en exergue – ont en quelque sorte intériorisé un discours patriarcal trop longtemps tenu dans la culture paysanne. Manque de reconnaissance, besoin de faire ses preuves, préjugés, tracasseries administratives, difficultés d'accès à la terre ou aux prêts bancaires sont le lot de bon nombre de femmes. Polyvalence, disponibilité, capacité à anticiper, à innover pour développer de nouvelles activités, les agricultrices disent « oui ! » Mais trop encore pour faciliter le travail du conjoint au détriment d'un difficile équilibre entre vie privée, familiale et professionnelle. Dfam invite les agricultrices à relever de nouveaux défis : faire partager la passion et la fierté d'une profession malmenée, expliquer de manière pédagogique et positive les pratiques, les valeurs et l'identité agricole pour remettre de la légitimité, de la dignité et du sens dans le métier de paysan. Endosser le rôle de médiatrice bienveillante, communiquer pour se respecter dans une connivence entre un monde agricole qui évolue et les attentes des consommateurs. Nous devons encourager la prise de responsabilité des femmes dans les organisations professionnelles et instances politiques, faire entendre leur voix et être force motrice de propositions de par leur liberté de parole et leur ancrage dans le territoire pour que notre ruralité, notre agriculture soient l'énergie de demain.

JAMAG n° 745/2018