Glyphosate: la bataille du diagnostic sanitaire

L'impact sur la santé du glyphosate, herbicide classé "cancérogène probable" en 2015 par le Centre de recherche sur le cancer de l'OMS, est au coeur d'une vive polémique entre industriels, scientifiques, ONG, et autorités d'évaluation.

'Cancérogène probable'

Cet herbicide de synthèse familier des agriculteurs et des jardiniers a été classé en mars 2015 "cancérogène probable" par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).   Le CIRC, basé à Lyon et composé de scientifiques internationaux, évalue, sur la base des études publiées, les causes environnementales du cancer. Il s'est prononcé sur l'impact d'environ un millier d'agents (produits chimiques, pollutions, etc).   Ses bilans ne mesurent pas la probabilité qu'un cancer survienne en cas d'exposition, mais la force des indices scientifiques montrant un impact cancérogène.   Elle propose cinq niveaux de classement. "Cancérogène probable", le dernier avant "cancérogène", signifie qu'on a des données de cancérogénéité "limitées" chez l'homme mais suffisantes chez l'animal de laboratoire.   Pour le glyphosate, les risques ont été évalués en se fondant notamment sur des études d'exposition agricole aux Etats-Unis, au Canada, en Suède ainsi que sur des animaux en laboratoires.   Il existe aujourd'hui "suffisamment de preuves de son caractère cancérogène à travers des expériences animales", soulignait le CIRC en 2015. L'agence indiquait aussi avoir tenu compte des travaux de l'agence américaine de l'environnement (EPA) qui, après avoir classé le glyphosate "cancérogène possible" en 1985, était revenue en arrière en 1991.    

'Substance suspecte' 

En novembre 2015, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) estimait "improbable" que le glyphosate présente un danger cancérogène pour l'homme.   Il n'est pas non plus génotoxique, c'est-à-dire susceptible d'endommager l'ADN, selon l'Efsa, qui en revanche lui fixe pour la première fois un seuil de sécurité toxicologique.   En 2017, l'Efsa a réitéré sa position et l'agence européenne en charge des produits chimiques (ECHA) est allée dans le même sens.   En 2016, l'Agence française de sécurité sanitaire (Anses) avait  affirmé: "au vu du niveau de preuve limité", le glyphosate ne peut être classé "cancérogène avéré ou présumé pour l'être humain", mais une classification comme "substance suspectée d'être cancérogène" peut "se discuter".   Au-delà de la substance active, l'Agence française se préoccupe aussi des adjuvants renforçant les préparations à base de glyphosate, en particulier la tallowamine. En 2016, 132 produits associant les deux composés se voient ainsi imposer un retrait du marché, du fait de "risques pour les utilisateurs du grand public ou du monde agricole".      

Evaluations au crible   

Alors, cancérogène ou pas?   L'Efsa explique que la divergence de résultats avec l'agence de l'OMS tient à la prise en compte "d'une vaste quantité d'éléments, y compris un certain nombre d'études non évaluées par le CIRC". Des scientifiques et des ONG dénoncent eux une évaluation européenne "biaisée", car basée sur des rapports fournis par les industriels tandis que, selon eux, d'autres études ne sont pas - ou mal - prises en compte. Selon l'ONG autrichienne Global 2000, sur les 12 études disponibles sur la cancérogénicité du glyphosate, sept montrant un risque accru pour les rongeurs exposés n'ont pas été prises en compte par les agences européennes, pour des raisons de méthode statistique.   La dernière évaluation de l'ECHA a aussi été mise en cause par un toxicologue américain renommé, Christopher Portier, qui a eu accès aux données utilisées. "L'Efsa comme l'ECHA n'ont pas réussi à identifier tous les cas statistiquement significatifs sur le cancer dans les études menées sur les rats", a écrit l'expert à Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne. Une centaine de scientifiques, avec M. Portier à leur tête, avaient tiré un signal d'alarme début 2016.   Des parlementaires et des ONG comme l'association bruxelloise Corporate Europe Observatory (CEO), ont réclamé l'accès à l'intégralité des études industrielles utilisées, dont seuls des résumés sont fournis. L'industrie des pesticides invoque de son côté la confidentialité, le secret commercial et la propriété intellectuelle.