La loi alimentation peine à convaincre

"La moitié du chemin reste à parcourir" : agriculteurs, industriels et distributeurs affichent leur scepticisme trois mois après l'adoption de la loi alimentation censée améliorer le sort des agriculteurs.

"Nous sommes à l'année N, cette année N montre qu'il y a des avancées sur le lait, mais ces avancées ne sont pas encore répercutées comme il le faudrait chez les agriculteurs, donc il faudra avancer l'année prochaine", a constaté le ministre de l'Agriculture Didier Guillaume mardi, à l'issue d'une réunion de suivi des négociations commerciales réunissant distributeurs, industriels de l'agroalimentaire et agriculteurs à Bercy. 

"On a encore beaucoup de marge pour que les agriculteurs vivent de leur travail. Mais nous sommes confiants car tous ceux qui étaient autour de la table avaient envie d'aller dans la même direction : la meilleure répartition de la valeur", a-t-il assuré.

"Tout le monde a des attentes élevées par rapport à ce partage de la valeur et donc effectivement aujourd'hui les agriculteurs et les transformateurs disent il faut que ça aille plus loin et les distributeurs disent OK, mais on joue dans le cadre d'une grande transparence de chacun des acteurs : quand je rends du prix aux transformateurs, je veux être sûr que ça redescende jusqu'aux agriculteurs", a pour sa part expliqué la secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie Agnès Pannier-Runacher. 

Pression à la baisse

"L'espoir que nous avons c'est qu'on tire enseignement de tout ce qui ne va pas bien dans tous les autres produits que le lait pour faire mieux l'année prochaine. Il reste encore une pression à la baisse exercée par certains distributeurs, et je dis bien certains, parce qu'il y en a de plus vertueux que d'autres", a pour sa part déclaré la présidente de la FNSEA Christiane Lambert tout en assurant qu'elle ne donnerait pas de nom.

Ce mardi matin, les mêmes acteurs, sauf les agriculteurs, avaient dressé un premier bilan en demi-teinte de cette loi alimentation, en particulier le relèvement de 10% du seuil de revente à perte (SRP) et l'encadrement des promotions, lors d'une conférence organisée par le magazine LSA. "Si la situation va dans le bon sens, la moitié du chemin reste encore à parcourir", résumait le délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), Jacques Creyssel.

L'objectif est de transformer cette loi "en CDI" après un "CDD" de deux ans, disait pour sa part le président de l'Ania (industriels de l'agro-alimentaire), Richard Girardot, en référence à la phase expérimentale prévue pour le SRP et l'encadrement des promotions. Pour l'instant, le représentant des industriels n'est "pas satisfait". "Le relèvement du SRP va rapporter 600 millions d'euros dans les caisses des distributeurs d'ici à fin janvier 2020", assurait-il.

Pas de bénéfice pour les agriculteurs

En intégrant les "remises de prix promotionnelles" et le système de "cagnottage" sur les cartes de fidélité, "ce sont les consommateurs qui bénéficient du relèvement du SRP et non les agriculteurs", avançait pour sa part Arnaud Degoulet, vice-président de Coop de France. Pour lui, le "ruissellement" promis dans les cours de ferme n'a donc pas eu lieu.

Quant à la mesure encadrant les promotions, "on n'a pas vu d'excès", "mais faisons attention aux dérives à la rentrée", avançait ainsi Richard Panquiault, représentant des marques nationales. Pour la FCD, elle constitue pourtant "la mesure la plus impactante" dans la grande distribution.

Tous les acteurs ont en revanche constaté que les négociations commerciales 2019 n'ont pas abouti à des changements d'importance, confirmant l'impression globale énoncée dès la semaine dernière par le ministre de l'Agriculture, selon qui "le compte n'y est pas". Manque de transparence, de confiance, de consensus... "Côté ambiance, les négociations sont restées dures", soulignait Arnaud Degoulet pour Coop de France, Richard Panquiault évoquant des "comportement indignes et des attitudes proches du harcèlement".