Les filières s'interrogent sur la restructuration voulue par Macron

Emmanuel Macron veut engager l'agriculture dans une restructuration en profondeur, aux conséquences potentiellement sensibles pour certaines filières, comme le porc par exemple. Des secteurs qui, aujourd'hui, s'interrogent.

Dans un discours fleuve prononcé mercredi devant des producteurs, transformateurs et distributeurs, réunis symboliquement au marché de gros de Rungis, le président a fixé le cap : parvenir à une alimentation qui soit à la fois rémunératrice pour les producteurs, "saine, durable, et accessible à tous", via une réorganisation des "filières" du secteur. Ces filières, ou inter-professions, au nombre d'une soixantaine et pour la plupart datant des années 60, réunissent toute la chaîne, du produit brut au produit fini et parfois jusqu'au distributeur, via un système complexe d'élections et de représentativité, où le principal syndicat agricole FNSEA est très impliqué.  

Dans son discours, Emmanuel Macron a sommé ces inter-professions de devenir de vrais agents de stratégie économique. Il leur demande d'écrire en à peine trois mois, d'ici décembre, leur vision à cinq ans sur les changements à apporter pour répondre aux demandes des consommateurs pour des produits de qualité, renforcer les maillons faibles par l'investissement et bâtir ensemble des indicateurs de prix "par filières".

Le président espère également que ces instances parviennent à procéder "aux bonnes régulations", par exemple "arrêter des productions, qu'il s'agisse de la volaille ou du porc, qui ne correspondent plus à nos goûts, à nos besoins", a-t-il déclaré. Il a même fait de ces plans stratégiques des filières une condition pour continuer à aider l'agriculture, via des aides financières à l'investissement, ou pour légiférer afin de limiter le pouvoir de la distribution.

Vers des dialogues difficiles ?

Plus facile à dire qu'à faire dans des instances politiques désuètes, parfois figées, où le confort de l'entre-soi voisine avec la rudesse de la concurrence commerciale et le secret des affaires. "Est-ce que nous pouvons nous contenter d'avoir 0,5% de porc bio en France, 3% en label rouge, alors que nous ne parvenons pas à satisfaire la demande de nos consommateurs ? Moi je ne le crois pas", a ainsi lancé le président, taclant des "choix absurdes de production" qui visent directement la filière porc, voire celle du poulet. "Je ne crois pas qu'on pourra parler de sujets commerciaux au niveau interprofessionnel", comme le demande l'exécutif, répond Paul Auffray, président de la Fédération nationale porcine, qui regroupe les quelque 10.000 éleveurs de porc. Bruxelles l'interdirait, "car cela serait considéré comme une entente", dit-il à l'AFP.   M. Auffray avoue aussi qu'il aurait du mal à établir une stratégie commune avec ceux qu'il qualifie de "parrains" de la grande distribution, qui ont "exploité et tué le monde agricole français". Il reconnaît néanmoins le besoin d'augmenter la production de porc bio en France, alors que la part du marché est estimée "entre 10% et 15%" selon lui. Mais il prévient que l'adaptation des bâtiments va coûter "très cher".  

Dans d'autres filières, comme celle des céréales, on soulignait jeudi ne pas avoir été visé par l'anathème présidentiel. "S'il y a une filière dont le président n'a pas parlé, c'est la nôtre", souligne Philippe Pinta, président de l'AGPB (producteurs de blé), car "tout le monde s'entend très bien".   "On s'organise en cas de pépin", dit-il à l'AFP. Après les mauvaises récoltes de 2014 et 2016, "on a réussi à vendre tout notre blé, on gardait le meilleur pour l'export; le moins bon, l'élevage acceptait de le prendre", ce qui montre selon lui, un véritable "esprit filière". Le deuxième syndicat agricole, la Coordination rurale, fustige à l'inverse "l'absurdité de la prétendue vocation exportatrice" de la filière céréales. "Depuis 50 ans, cette filière a tout misé sur le blé, délaissant les autres productions" nécessaires pour un élevage de qualité, souligne-t-il jeudi dans un communiqué.   Face aux dissensions dans les filières, Emmanuel Macron a prévenu que son changement de "paradigmes" consistera à "passer d'une logique de guerre de position, les uns contre les autres, à une guerre de mouvement collective".