Budget de l'UE: coups de rabot en vue après le Brexit

Bruxelles dévoile mercredi son plan pour bâtir les budgets post-Brexit de l'UE, avec des propositions détonantes comme de couper dans les politiques agricole et régionale ou de conditionner le versement de fonds européens au respect de l'Etat de droit, déjà contesté par Varsovie.

Après des mois de préparation, la Commission européenne mettait mercredi matin la dernière main à sa proposition de budget pour la période 2021-2027, que son président Jean-Claude Juncker ira ensuite présenter dans l'après-midi devant les eurodéputés.   "Nous allons faire une proposition qui je pense maintient un équilibre entre ceux qui paieront plus et ceux qui accepteront des coupes", a estimé le commissaire européen en charge du Budget, l'Allemand Günther Oettinger, dans un entretien mercredi à la télévision publique allemande.  

Selon une source européenne proche du dossier, l'exécutif européen devrait proposer un budget global en hausse pour l'UE à 27, à 1.279 milliards d'euros pour sept ans. A comparer au budget de 1.087 mds pour 2014-2020 en prix courants, mais à 28 avec le Royaume-Uni. La Commission va aussi plaider selon cette source pour des coupes de 6% dans la Politique agricole commune (PAC), chère à la France, et de 8% dans les fonds de cohésion, dont les pays de l'Est sont les grands bénéficiaires.  

Ce cocktail d'économies et de nouvelles ressources vise selon Bruxelles à donner à l'Union les moyens des ambitions affichées pour sa nouvelle vie à 27, sans le Royaume-Uni, dont le départ prévu fin mars 2019 rend l'équation du "cadre financier pluriannuel" plus complexe que jamais.

Le 'trou' du Brexit

Selon les estimations de Bruxelles, le départ des Britanniques va laisser un "trou" annuel de 12 à 14 milliards d'euros après 2020 -- dernière année de contribution de Londres malgré un Brexit programmé au printemps de l'année précédente. La rupture avec ce "contributeur net" tombe d'autant plus mal que l'Union européenne cherche à financer à 27 de nouvelles politiques, en matière de défense ou de migration notamment, sans renoncer aux "anciennes". M. Oettinger veut notamment que les 27 acceptent un budget au-delà de la limite actuelle de 1% du Revenu national Brut (RNB) cumulé des Etats membres, avec un curseur qui devrait être placé mercredi à 1,11%. "Il va falloir faire des coupes", a clairement prévenu le commissaire, en visant la PAC et la politique de cohésion pour les régions les plus en retard économiquement, deux domaines représentant respectivement 37% et 35% du budget de l'UE.  

Ces "sacrifices" seront difficiles à accepter, en particulier en France, dont les agriculteurs sont les principaux bénéficiaires des aides directes de la PAC. Paris est prête à défendre une "réforme assez substantielle", mais "le filet de sécurité indispensable des aides directes pour les agriculteurs ne peut pas être affecté", prévient une source diplomatique. Les pays de l'Est sont eux déjà vent debout face aux coupes dans les fonds de cohésion, dont ils sont les principaux destinataires, et qui pourraient par ailleurs être en partie réorientés vers d'autres pays connaissant un fort chômage des jeunes ou des "fractures territoriales". La Pologne et la Hongrie sont d'autant plus sur la défensive qu'elles se sentent visées par un autre projet de la Commission, qui veut lier versement de fonds européens et respect de l'Etat de droit.

'Pression politique'

Plusieurs pays réclament ce mécanisme pour tirer les leçons du bras de fer infructueux entre Bruxelles et le gouvernement ultra-conservateur polonais, accusé de menacer l'indépendance de sa justice. Face à la lourdeur de la procédure en cours lancée par la Commission, l'idée est de pouvoir recourir à la pression financière dans des cas comparables. "Nous n'accepterons pas de mécanismes arbitraires qui feront de la gestion des fonds un instrument de pression politique à la demande", a déjà averti le vice-ministre polonais pour les Affaires européennes, Konrad Szymanski. Des pays comme l'Autriche ou les Pays-Bas sont déjà mobilisés pour leur part contre une hausse des contributions nationales, à laquelle l'Allemagne et la France sont en revanche disposées.  

La Commission va plaider pour la nécessité de fonds plus importants pour le numérique, la recherche, le programme Erasmus ou la défense. Pour mieux protéger les frontières extérieures, elle va proposer de "multiplier par plus de cinq" les effectifs de l'agence Frontex après 2020, pour les porter à près de 6.000 selon une source européenne. Le débat budgétaire va enfin ressusciter un serpent de mer: la création de nouvelles ressources propres pour l'UE. La Commission veut notamment que la taxation des échanges de quotas de carbone soit orientée vers le budget européen. La Commission veut que les tractations entre Etats membres et eurodéputés soient bouclées avant les prochaines élections européennes, soit moins de deux mois après le divorce avec les Britanniques. "Ce genre de négociations prend normalement deux ans", souligne une source diplomatique, perplexe face à ce calendrier.