"Pour les agriculteurs, le confinement est moins fort qu’il y a un an"

Loin d'être confinés, les agriculteurs sont plus que jamais au travail pour nourrir une population qui, en ces temps de guerre sanitaire, se rend soudainement compte de l'importance de l'agriculture. Un réel revirement de situation, au vu du climat de tension entre monde agricole et monde urbain relayé par la presse ces dernières années.

Pour reprendre le vocabulaire guerrier utilisé par le gouvernement depuis le début du confinement, les agriculteurs sont plus que jamais sur le front. La « grande armée de l'agriculture française », comme l'a nommée Didier Guillaume, est mobilisée pour continuer à produire les aliments nécessaires au maintien d'une population en bonne santé. Car comme le rappellent les membres de l'académie de l'Agriculture dans un texte publié le 25 mars, "le manque de nourriture et les carences nuisent à la mise en place de l'immunité vis-à-vis de la maladie".

"Nous avions collectivement oublié, que les périodes de famines ou de simples disettes, ont favorisé des épidémies consécutives et surtout une mortalité croissante, fait savoir l'Académie. Des épidémies de peste à la fin de l'empire Romain puis au Moyen Age, d'autres épidémies diverses suite aux famines de la fin de règne de Louis XIV, jusqu'à la grippe espagnole de 1918-1919, première grande pandémie des temps modernes, tous s'accordent sur le fait que les restrictions alimentaires exposent davantage les populations dénutries ou malnutries à développer les symptômes des maladies bactériennes ou virales et surtout à en mourir".

Et en ces temps de guerre sanitaire, les agriculteurs ne font pas que produire une nourriture diverse et variée : ils fournissent aussi les matières premières permettant de fabriquer l'alcool et la glycérine utilisés pour fabriquer le fameux gel hydro-alcoolique que tout le monde s'arrache.

Alors qu'il y a encore peu de temps, les agriculteurs essuyaient de nombreuses critiques et subissaient des agressions parfois violentes, ils sont aujourd'hui soutenus, remerciés, applaudis. Aux messages de soutien de la population sont venues s'ajouter les courriers envoyés par le ministre de l'Agriculture aux agriculteurs et salariés agricoles, ainsi que les publicités des enseignes de grandes surfaces remerciant l'ensemble de la chaîne alimentaire.

« Des actions inimaginables il y a un an ! » note Jérôme Regnault, agriculteur dans les Yvelines et co-fondateur du collectif « Ici la Terre », qui œuvre au dialogue entre le grand public et le monde agricole. « On voyait des publicités au moment du Salon de l'Agriculture, mais qui concernaient quelques producteurs. Là, c'est toute la filière que l'on remercie »

S'il estime que la crise du coronavirus a eu un effet catalyseur sur le comportement des français vis-à-vis des agriculteurs, Jérôme Regnault affirme que les rouages étaient déjà en mouvement depuis plusieurs mois. « Le regard des français et des médias a évolué, dit-il. On l'a vu à travers les appels reçus avec Ici la Terre ». En septembre 2019, le collectif a lancé un numéro d'appel gratuit pour quiconque souhaitait poser des questions sur l'agriculture. Au bout du téléphone, une centaine d'agriculteurs bénévoles répondent pour expliquer leurs pratiques.

Depuis le lancement, « nous avons reçu entre 400 et 500 appels, indique Jérôme Regnault. Les questions portent dans l'essentiel sur les phytos, le glyphosate et le bien-être animal. Mais il y a aussi des gens qui n'ont pas spécialement de questions, qui veulent échanger, nous encourager. Pour l'agriculteur au bout du fil, c'est une vraie thérapie ». Le Salon de l'Agriculture 2020, épargné de justesse avant la mise en place des mesures sanitaires, a été un moment d'échanges constructifs avec des citoyens qui entretiennent, pour beaucoup, une forme de proximité avec les agriculteurs.

« Je pense que le confinement est moins fort aujourd'hui pour l'agriculture qu'il ne l'était il y a un an », analyse Jérôme Regnault, qui a partagé sa réflexion dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux. Moins confinés physiquement, étant donné le démarrage des travaux des champs, mais moins confinés « moralement » aussi. « On a connu une année de confinement, où tout était de la faute de l'agriculture. L'an dernier quasiment à la même époque, il y a eu les premiers arrêtés anti-pesticides. On ne se comprenait plus avec les français. » Reste à espérer que les comportements vertueux se maintiennent une fois la crise passée.