Retenues d’eau : un serpent de mer, le sel (et l’eau) en moins

Le gouvernement veut faciliter la création de retenues d’eau pour l’irrigation. Le Président du Sénat le prend au mot. Sauf que la création de retenues d’eau devrait servir avant tout le soutien à l’étiage des cours d’eau, pour des motifs de santé et de sécurité publiques. Entre les ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique, on compte les gouttes. Et les points.

"Chaque fois qu'il y a un projet qui est mis en place, il y a d'abord un comité de défense qui se met en place avant que le projet soit connu, et puis dès que le projet est en place, il y a un recours au tribunal administratif qui fait que ça fait parfois sauter les décisions", a déclaré le ministre de l'Agriculture au Sénat le mardi 23 juillet. "C'est la raison pour laquelle le gouvernement sera preneur d'une proposition de loi, pour assurer le fait que nous puissions tenir".

L'intention est louable, elle a d'ailleurs été saluée par Gérard Larcher, le Président du Sénat. "On sort du dogmatisme de la gestion de l'eau", s'est-il félicité mercredi. «  Le ministre de l'Agriculture Didier Guillaume prend le problème "à bras le corps, maintenant il faut que le gouvernement et le Parlement aient le courage de traiter cette question de la gestion de l'eau, sans doute différente d'il y a 30 ans", a déclaré M. Larcher dans un entretien à l'AFP. "Je crois qu'il y a une prise de conscience qui permet de sortir du dogmatisme des uns ou d'une forme d'immobilisme des autres", a ajouté le président du Sénat.

Projets de territoire pour la gestion de l'eau

Encore faudra-il que la proposition de loi évoquée soit réellement efficiente. On se gardera de faire un procès d'intention au gouvernement, qui récemment, a fait appel de deux décisions, en Charente-Maritime et dans les Deux-Sèvres. Dans le même ordre d'idée, le lac de Caussade (Lot-et-Garonne), autorisé puis interdit (mais sous deux ex-ministres de l'Agriculture et de la Transition écologique) ne sera finalement pas détruit mais aménagé.

En mai dernier, le gouvernement a également donné instruction aux Préfets de généraliser les Projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) afin de « garantir une démarche concertée localement avec tous les usagers de l'eau pour améliorer la résilience des territoires face aux changements climatiques et mieux partager les ressources en eau ».

Rebaptisés PTGE, les ex-projets de territoire (il y en a 54 au plan national) sont les instances au sein de laquelle toutes les parties (agriculteurs, associations, institutions etc.) sont censées faire émerger des projets cochant toutes les cases de la durabilité, dans une démarche de co-construction, prévenant les risques de conflits et de recours. Objectifs des PTGE : réaliser un diagnostic des ressources disponibles et des besoins actuels et futurs des divers usages, mettre en œuvre des actions d'économie d'eau pour tous les usages, accompagner les agriculteurs dans la mise en œuvre de la transition agro-écologique, conduire les collectivités locales à désartificialiser les sols pour augmenter l'infiltration des eaux, assurer un partage équitable et durable de la ressource en servant en priorité les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l'alimentation en eau potable de la population, mobiliser la ressource en période de hautes eaux, notamment par des ouvrages de stockage ou de transfert, quand c'est utile et durable.

La santé et la salubrité d'abord

Il n'y a pas a priori de hiérarchie entre ces différents objectifs assignés aux PTGE. Mais les exigences en matière de santé, de salubrité publique, de sécurité civile et d'alimentation en eau potable pourraient vite primer, comme le donnait à penser le rapport de la mission parlementaire d'information sur la ressource en eau, créée en 2017.

Si le rapport pointait la nécessité d'améliorer les ouvrages de stockage existants et d'en créer de nouveaux, il justifiait cette recommandation par l'impérative nécessité de soutenir l'étiage des cours d'eau, pour des motifs de santé aquatique et publique. C'est du reste pour les mêmes motifs qu'il ne faut pas surestimer le potentiel des eaux usées, qui après traitement, pourrait servir l'irrigation. Cette ressource d'eau est souvent considérée, à tort, comme perdue, alors qu'elle retourne bel et bien dans le milieu naturel et notamment dans les cours d'eau après traitement.

Le ministère de la Transition écologique sur la retenue

Concernant la proposition de loi souhaitée par le ministre de l'Agriculture, "la question doit être expertisée", note-t-on au ministère de la Transition écologique. Les retenues d'eau ne sont "pas la panacée", a dit mardi Emmanuelle Wargon, la secrétaire d'Etat à la Transition écologique, après la réunion de la commission de suivi hydrologique du Comité national de l'eau. "Les retenues d'eau peuvent être un bon outil pour favoriser un partage équitable avec les agriculteurs, mais seulement dans un projet plus global dans lequel notre 1er objectif est d'économiser l'eau", a-t-elle déclaré à la presse. Entre les deux ministères, on compte les gouttes. Et les points.