Se diversifier, mais pas à tout prix

Pour faire face à l’instabilité des revenus sur leur exploitation de polyculture-élevage, Emilie et Charles Duchier, gérants du Gaec Prahas dans le Cher, ont décidé de créer un atelier de poules pondeuses de plein air. Ils produisent 270 000 oeufs par an, vendus dans un rayon de 30 kilomètres autour de leur ferme. Entre la conception du projet et l’arrivée des premières poules, un an s’est écoulé. Ils racontent à Pleinchamp comment s’est construit leur projet de diversification et les précautions qu’ils ont prises pour le mener à bien.

"Nous sommes dans une région intermédiaire, on ne peut pas vivre uniquement de céréales ou uniquement d'élevage", annonce d'emblée Emilie Duchier. Lorsqu'elle rejoint le Gaec de son mari Charles en 2015, la conjoncture n'est pas des plus favorables. "Depuis que je me suis installée, je n'ai connu que des mauvaises années, confirme-t-elle. Alors l'idée de la diversification est venue assez vite". "C'est l'année 2016 qui nous a fait le plus réfléchir, complète Charles. On s'est dit qu'il fallait à tout prix trouver une diversification pour lisser nos revenus". Pas vraiment à tout prix cependant : les deux associés voulaient un projet qui ne demandait pas un gros investissement et surtout qui ne remettait pas en cause leur entreprise en cas d'échec. 

L'atelier poules pondeuses s'est imposé de lui-même car il offrait une complémentarité avec le reste de leur exploitation : les poulaillers ont été construits sur des prairies déjà existantes et les poules sont nourries avec les céréales produites à la ferme. Quant aux débouchés, "il y avait vraiment un créneau à prendre", estime Emilie. En tant que consommatrice, elle avait en effet remarqué le manque d'oeufs locaux dans les rayons des supermarchés. "Je trouvais du fromage local, de la crème... mais pas d'oeufs", raconte-t-elle. Alors, après une étude de marché, "nous avons pris notre bâton de pèlerin et nous sommes allés directement à la rencontre des représentants des supermarchés pour leur présenter l'ébauche de notre projet", poursuit-elle. Le résultat a été très positif. "Notre projet a été très bien reçu par les supermarchés, qui jouent la carte du local", témoigne Charles. Rassurés, les associés se lancent dans l'aventure. 

Un an pour préparer le projet

Pour limiter les investissements, ils achètent des poulaillers mobiles d'occasion qu'ils partent démonter dans l'est de la France pour les remonter sur leur ferme. "Ces poulaillers étaient à la base utilisés pour des poulets de chair, précise Emilie. Mais ce système de poulaillers mobiles nous a bien plu car il facilite le nettoyage et le vide sanitaire. Nous les avons bricolés pour les adapter aux poules pondeuses". Les associés partent également visiter trois élevages différents pour récolter des conseils sur le fonctionnement du centre d'emballage et de stockage, qu'ils installent dans une ancienne bergerie. "Le montage du dossier administratif a été très chronophage", témoigne Emilie, qui a choisi de ne pas faire appel à une expertise extérieure. Les associés créent la marque "Les belles poulettes" et font appel à un graphiste pour créer le logo et le packaging. 

Un an après la conception du projet, les premières poules arrivent sur l'exploitation en février 2019. Côté production, les éleveurs se sont basés sur le cahier des charges du Label Rouge, auquel ils ne peuvent cependant pas prétendre car indépendants du système coopératif. Les poules sont élevées en plein air, avec une alimentation 100% produite à la ferme (blé, orge, maïs, pois, tournesol). "Pour fixer notre prix de vente, nous nous sommes basés sur les prix des oeufs Label Rouge produits localement", explique Emilie. Outre les supermarchés, qui représentent la plus grande partie des débouchés pour les oeufs "Les belles poulettes", ceux-ci sont aussi vendus en boulangeries-pâtisseries, dans les restaurants et en restauration collective, le tout dans un rayon de 30 kilomètres autour de leur ferme. 

Les associés dégagent un chiffre d'affaires sur cet atelier de 70 000 euros par an et s'offrent un avantage de taille : la sécurité des revenus qui tombent tous les mois. "En agriculture nous ne maîtrisons malheureusement pas souvent les prix ni les rentrées d'argent, analyse Emilie, d'autant plus lorsque l'on vend des céréales et des broutards. Pour la première fois, nous avons fixé nous-mêmes un prix et personne n'a discuté ! C'est une grande avancée pour nous."