4 ans, 4 ateliers, 4 salariés, 4% d’aides bio

En l’espace de quelques années, Léo Girard a créé de toutes pièces et sur 26 hectares une exploitation produisant des fromages de brebis, de la viande bovine et porcine, 100% bio, 100% en vente directe, en plus d’un atelier d’ail semences sur 4 hectares, en bio évidemment. Un système un peu fragile côté affouragement mais néanmoins bien pensé. Sa ferme « dessine-moi une brebis » est un des quinze Talents Bio de Tech & Bio 2019.

Quatre à quatre et pas par quatre chemins : en l'espace de quelques années, le jeune éleveur (28 ans) n'a pas vraiment démérité. A la vérité, Léo Girard s'est installé début 2013, à Baume-Cornillane (Drôme), il y a donc un peu plus de six ans. Mais au départ, il n'a « que »  les brebis laitières, au nombre d'une centaine, des Lacaune choisies à dessein pour leur rusticité. Mais il y a un truc qui cloche chez les brebis, c'est les refus de foin qui finissent sur le tas de fumier. « Le fourrage est trop coûteux et trop précieux pour en gaspiller le moindre gramme », déclare Léo Girard. La faute aux brebis, mais aussi au foin, d'une qualité aléatoire comme c'est d'ordinaire pour le foin, sujet aux aléas.

Rien ne se perd, tout se transforme

Ce double constat va déclencher une double réaction : le foin, essentiellement de luzerne pour viser l'autonomie protéique, sera séché en grange pour sécuriser et optimiser sa qualité. Et s'il y a encore des refus, un petit troupeau d'Aubrac, d'une trentaine de bêtes en comptant les mères, génisses, veaux, broutards et taureaux, ne feront pas la fine gueule.

Et tant qu'il est question de déchets sinon de coproduits, quoi de mieux que les cochons pour valoriser le lactosérum et le petit lait issus de la production fromagère, tout en faisant l'économie d'un coûteux système de traitement. Nous voilà rendus aux quatre ateliers en quatre ans grosso modo, si l'on ajoute l'intégration de...  4 ha d'ail semences dans le système désormais 100% bio, avec les premiers cochons dûment estampillés depuis ce mois de septembre. « L'ail, c'est pour le côté économique mais c'est aussi très stimulant au plan technique », souligne le producteur. C'est la seule production qui ne part pas en vente directe, ou si peu, l'essentiel étant écoulé auprès de grossistes. L'ail est produit sur des terres louées non comptabilisées dans les 26 ha de l'exploitation.

La quête de valeur(s)

Depuis l'origine, l'exploitation n'a pas dérogé à deux grandes lignes directrices que sont la bio, une sensibilité filiale, et la vente directe, mue par la quête de valeur(s). « La vente directe, c'est l'occasion d'expliquer ce que l'on fait, d'afficher une transparence totale sur notre système de production, notamment via la vente à la ferme où nos clients peuvent tout voir et tout questionner », témoigne l'agriculteur, qui vend aussi son ail, ses fromages, yaourts, caissettes de veau, de broutard, de porc et d'agnelet sur les marchés, dans des magasins de producteurs et depuis peu en ligne. « C'est aussi un bon moyen d'avoir des retours sur la qualité de nos produits et d'apporter des améliorations le cas échéant. Enfin, c'est l'occasion de mettre en avant des produits peu connus comme l'agnelet ou encore le broutard, que j'ai tendance à pousser au détriment de veaux de huit mois à peine prêts dans mon système, car tout le temps dehors et sans profusion de fourrage ». 

Malgré une offre croissante « dont celle de collègues en conventionnel qui font d'excellents produits », relève Léo Girard, le débouché en vente directe ne semble pas à la veille de se tarir, « même si les clients ne sont jamais acquis. Je fais un peu de pub car j'ai appris que c'est quand ça marche qu'il faut en faire ». Les prix sont ajustés en fonction des coûts de production et des prix alentour, soit 13,90 €/kg de porc, 15 €/kg de veau et 17 €/kg de broutard.

La luzerne bio des voisins

Le point de fragilité de l'exploitation, c'est très clairement son défaut d'autonomie fourragère. Outre la production d'orge sur 5 ha, autoconsommée, l'exploitation, qui compte 10 ha de parcours, produit environ 60 t/an de fourrages, soit environ 25% de ses besoins. Environ 30 t d'orge sont achetées à l'extérieur ainsi que 200 t de luzerne. « J'ai la chance d'avoir des céréaliers bio autour de chez moi qui cultivent de la luzerne et que je leur achète sur pied », déclare l'éleveur. « J'en maîtrise ainsi totalement la conduite ». 40 ha sont concernés.

A cet égard, le séchage en grange a une autre vertu que la valeur nutritive. Insensible ou presque aux conditions météo, il autorise Léo Girard à réaliser assez tôt (avril) la première coupe et à maximiser ainsi le nombre de coupes, donc le rendement global (7 t/ha à 10 t/ha en sec / irrigué) et au passage la rémunération offerte aux propriétaires des terres, payés au tonnage, soit entre 50 €/t et 60 €/t. La formule permet aussi d'appréhender les épisodes de sécheresse, sans être totalement imparable certaines années.

Avec le séchage en grange, l'exploitation soigne au passage son bilan carbone, avec moins de passages à la fenaison. La consommation de carburant a été quasiment divisée par deux. Le système de récupération de chaleur sous le toit puis ventilée sous les deux cellules s'avère pour sa part sobre. Des panneaux photovoltaïques sont aussi présents, d'autres s'apprêtent à couvrir d'autres toitures. L'exploitation compte... 4 bâtiments.

Moins dépendant des aides que du personnel

Une moindre dépendance aux fourrages passerait par la location de nouvelles terres, un scénario très hypothétique dans un contexte foncier tendu, même si l'éleveur a aujourd'hui son expérience à faire valoir auprès de propriétaires, ce qui était moins évident à son tout début. A 13.000 €/ha sans accès à l'eau, Léo Girard ne songe pas à acheter, d'autant qu'il a beaucoup investi depuis son installation : environ 800.000 euros en bâtiments (avec une bonne dose d'autoconstruction), fromagerie, séchage en grange, panneaux photovoltaïques, chaudière à granules, véhicules et matériels dédiés  à la vente directe à la ferme et sur les marchés.

Les résultats sont bons et en constante progression, même si l'agriculteur prélève peu de revenu, loge chez ses parents, ne dispose pas de véhicule personnel. L'air de rien, le jeune agriculteur a créé et pérennisé quatre emplois en l'espace de quelques années. Ses quatre ateliers permettent d'étaler et de générer du travail (et des recettes) tout au long de l'année. L'agriculteur attache une attention particulière à son équipe, en s'enquérant régulièrement de leur bien-être dans l'exploitation. « Je n'ai pas été formé au management, c'est une lacune que j'essaie de combler » reconnaît-il. L'intégration d'un apprenti y a indirectement participé. La main d'oeuvre est bien évidemment un point de vigilance de l'exploitant, davantage que la contribution des aides bio aux produits de l'exploitation, de l'ordre de 4% actuellement, et qui va s'amenuiser au fil des ans. « Peu de surfaces, c'est peu d'aides mais je m'en satisfais ».