Blé tendre, climat et génétique : sécuriser le rendement à défaut de le déplafonner

Alors que le progrès génétique est crédité d’un gain de rendement annuel compris entre 0,5 et 0,6 q/ha/an, les rendements plafonnent depuis 20 ans. La faute au changement climatique, selon les chercheurs. Dans les années à venir, la génétique va poursuivre son œuvre de neutralisation de ses effets et tenter de contrer la variabilité inter-annuelle des rendements, notamment grâce aux acquis du programme de recherche BreedWheat.

« En dépit du plafonnement des rendements du blé tendre, que l’on observe en France et en Europe depuis la fin des années 1990, le progrès génétique n’a pas cessé », déclare Jacques Le Gouis, chercheur à l’Inrae et coordinateur du programme BreedWheat. « De nombreuses études démontrent que les apports de la sélection, compris entre 0,5 et 0,6 q/ha/an, sont contrebalancés par les effets du changement climatique ».

En France, les impacts du climat se font ressentir à deux stades en particulier que sont la montaison, en butte à des occurrences de sécheresse plus fréquentes, et le remplissage du grain, pénalisé par des épisodes de forte chaleur.

"Stabiliser le rendement moyen face à des conditions toujours plus défavorables est un objectif ambitieux."

Dans ces conditions, « stabiliser le rendement moyen face à des conditions toujours plus défavorables est un objectif ambitieux », poursuit Jacques Le Gouis. « Au sein des entreprises semencières, on parle moins de gain de rendement que de stabilisation et de sécurisation de rendement, abonde Jérémy Derory, responsable de recherche chez Limagrain Europe. Progresser en rendement supposera des conditions climatiques parfaites, ce qui risque d’être de plus en plus rare ».

Avec la stabilisation, la lutte contre la variabilité inter-annuelle des rendements est un autre objectif des sélectionneurs. « Il s’agit là d’un autre méfait du changement climatique », indique Jacques Le Gouis.

Il est vrai que le blé nous avait jusque-là mal habitué et répondait plutôt bien à deux marqueurs de productivité que sont la protection (6,9 traitements par an) et la fertilisation (164 kg d’azote par ha et par an).

Quid des bioagresseurs

Si les stress hydrique et thermique vont continuer à chahuter le blé dans les années à venir, le changement climatique risque aussi d’influer sur le cycle biologique des ravageurs et des maladies. Avec une nuisibilité à la hausse ou la baisse ?

"Dans 10 ou 20 ans, les systèmes culturaux ne seront plus ceux d'aujourd'hui."

« La question est complexe car elle met en jeu trois paramètres que sont la plante, les pathogènes et le climat, répond Jean-Pierre Cohan, chef du service phénotypage par capteurs chez Arvalis. La température est souvent mise en avant comme étant un facteur d’accélération des maladies tandis que les décalages d’évènements pluviométriques peuvent les contrarier. Les ravageurs et pathogènes sont des organismes vivants et donc susceptibles de s’adapter. Ces facultés d’adaptation font précisément l’objet de programmes de recherche. Un autre phénomène va aussi très fortement conditionner l’évolution des bioagresseurs. Il s’agit des pratiques et des systèmes culturaux qui, dans dix ou vingt ans, ne seront plus ceux d’aujourd’hui ».

Des progrès tous les ans

Si l’agronomie aura son mot à dire, la sélection génétique est aussi appelée à la rescousse. Chercheurs et sélectionneurs n’ont pas manqué d’anticipation, comme en témoigne le programme de recherches BreedWheat. Initié en 2011, il a rassemblé une trentaine de partenaires publics et privés, dont une dizaine d’obtenteurs, pour inscrire le blé tendre dans la durabilité.

Le programme, doté de 34 millions d’euros, vient de s’achever et les champs de recherche inventoriés, du décryptage du génome du blé à l’adaptation au changement climatique en passant par l’exploration exhaustive de la diversité génétique de l’espèce, permettent d’envisager l’avenir avec sérénité. « Des variétés issues de ces travaux émergeront à l’horizon 2028-2030, même si chaque année, du fait des principes de l’inscription au catalogue, chaque nouvelle variété est porteuse de progrès », souligne Jérémy Derory.