Des semences fourragères paysannes plus adaptées au terroir

Produire ses propres semences fourragères : au-delà de l’intérêt économique, l’objectif est de trouver des variétés plus adaptées au contexte local et de continuer à les faire évoluer dans ce sens. Éleveur dans les Pays de la Loire, Florent Mercier multiplie ses semences de luzerne et voudrait en faire de même avec le lotier.

Dans le Maine-et-Loire, un groupe du Civam local a décidé de travailler sur les semences prairiales paysannes. « Il y a plusieurs raisons qui les ont motivés : le coût de semences commerciales, leurs disponibilités aléatoires et la volonté de savoir comment elles sont testées », annonce Louise Leprovost, l’animatrice du groupe. Depuis 2019, les éleveurs ont commencé les tests de multiplication chez eux. Deux espèces ont été retenues : la luzerne et le lotier.

Florent Mercier est l’un de ces agriculteurs. Il produit ses propres semences de luzerne depuis 7 ans. Lorsqu’il moissonne une parcelle, il obtient en moyenne 200 kg/ha. « Les graines sont récoltées quand la luzerne a quatre ou cinq ans. Il reste alors environ 20 % des pieds. Ce sont ceux qui ont résisté aux ravageurs, à la météo et qui se sont adaptés aux terroirs », précise-t-il.

Cette notion d’adaptation aux terroirs est la raison principale pour laquelle il produit sa propre semence. « Les graines disponibles dans le commerce peuvent venir d’Uruguay, de Nouvelle-Zélande ou ailleurs... Il est impossible de savoir comment elles ont été produites », regrette-t-il.

L’importance des caractéristiques locales

Ce retour à une adaptabilité locale, Cyril Firmat, chercheur au sein de l’Inrae, l’associe au courant de l’agroécologie. « Ce sont des pratiques qui utilisent moins d’intrants. Le milieu devient donc moins uniformisé et les caractéristiques locales ressortent », indique-t-il. L’adaptation est d’autant plus favorisée que les variétés fourragères, même commerciales, sont des variétés dites « population », ce qui signifie qu’elles contiennent un certain degré de diversité génétique. Elles préservent ainsi une capacité à s’adapter.

En plus de cette adaptabilité, le chercheur évoque l’intérêt d’avoir une diversité de plantes afin de miser sur l’effet portefeuille : semer une multitude d’espèces et de variétés dans les prairies augmente les chances de tirer son épingle du jeu dans un milieu variable et peu prévisible.

Dans ce sens, une étude menée auprès de 14 agriculteurs du groupe Civam 49, avec qui il collabore, a recensé 24 mélanges fourragers différents. « Cela renforce le recours aux semences paysannes car les variétés que les agriculteurs trouvent dans les circuits classiques sont assez réduites », précise Cyril Firmat.

"Les interactions entre les espèces représentent 40 % de l’efficacité d’une variété."

Il évoque notamment plusieurs types de luzerne dans l’Ouest qui ont disparu faute d’être maintenus ou des variétés de sainfoin, reproduites en trop petites quantités auxquelles les éleveurs n’arrivent pas à avoir accès. « De plus, le semencier ne peut pas tester les interactions avec toutes les plantes compagnes, or ces interactions représentent 40 % de l’efficacité d’une variété. Quand 70 % des prairies françaises sont semées avec des mélanges d’espèces, cela pose particulièrement question pour les plantes fourragères », insiste le chercheur.

Pour retrouver des semences adaptées à leur terroir, les agriculteurs se tournent vers leurs pairs ou vers des collections publiques qu’il faut re-multiplier, comme les variétés de conservatoire de l’Inrae, voire vers leurs prairies permanentes qui ont des rendements satisfaisants. « J’ai fait pousser une variété de lotier multipliée par un agriculteur du Gers. Elle a eu de meilleurs résultats que la variété commerciale dans la même parcelle, rapporte Florent Mercier. Ce qui est stimulant, c’est qu’il possible de faire mieux avec des variétés encore plus adaptées au terroir ».

Une différence de coût

Le poste semence peut vite représenter des sommes importantes. Notamment pour des membres du groupe Civam qui ont travaillé l’autonomie sur les autres postes. Faire ses propres semences peut donc représenter une économie conséquente. Florent Mercier a calculé qu’il lui fallait deux heures pour récolter 200 kg de semences de luzerne, soit 60€ de frais de moissonneuse-batteuse, qu’il a en propre.

« Même en prenant en compte le coût de la main d’œuvre, ces chiffres sont loin des 7 à 10€/kg des semences du commerce. D’autant plus que la luzerne a déjà donné une coupe auparavant et que la matière organique est restituée au sol », commente l’éleveur.

"L’approvisionnement en semences locales pourrait être repensé à l’échelle du territoire, en comptant sur la spécialisation de certains agriculteurs dans telle ou telle espèce."

De son côté, Cyril Firmat questionne la généralisation de l’autoproduction de semences à l’échelle de la ferme. « Tous les agriculteurs ne sont pas volontaires pour un tel investissement dans la récolte de fourragères, autant en matière de temps de travail qu’en ce qui concerne l’acquisition de matériel et le développement de savoir-faire. L’approvisionnement en semences locales et la sélection pourraient donc probablement être repensés à l’échelle du territoire, en comptant sur la spécialisation de certains agriculteurs dans telle ou telle espèce, suggère-t-il. Des modes d’organisation nouveaux restent donc à inventer afin de mieux prendre en compte les singularités des territoires et les choix des agriculteurs. »