La filière volailles : à l'assaut du marché national

Le déficit commercial français en produits de volailles continue de se creuser. Le grand export se tarit alors que les volailles européennes s’engouffrent. La filière avicole française est à la croisée des chemins. Elle part à la reconquête de son marché intérieur en intégrant la demande de montée en gamme et de produits plus découpés et élaborés. L’épreuve de réalité pour une région comme la Bretagne se joue en 2019.

Avec une progression de 3 % par an depuis plusieurs années, la volaille a ravi au porc en 2017 la place de première viande produite au monde. La France ne suit pas ce chemin. L'hexagone est le seul pays de l'Union européenne à avoir vu sa production de volailles baisser, conséquence de certains choix industriels. Entre 2017 et 2010 la production française de poulet export, victime de la fin des aides européennes, a baissé de 37 %. De son côté, la production de dinde a perdu 40 % de volumes en 12 ans. À l'origine les produits élaborés étaient fabriqués avec de la dinde. Les pays d'Europe du Nord (Belgique, Pays Bas, Allemagne) ont progressivement basculé vers du poulet lourd, plus compétitif. La France a tardé à prendre ce virage, ce qui a permis à nos voisins de rentrer sur le marché français. Le pays exporte actuellement 31 % de sa production, mais importe 43 % de sa consommation contre 10 % en 1990.

Brexit en tête

Le déficit commercial de la France en volailles s'est encore accru en 2017. Le solde, négatif en volume (-65000 tec) comme en valeur (-193 millions €), se creuse de 64 millions d'€ (+50 %) comparé à 2016 (eTeMa janvier-février 2018). La tendance se poursuit sur le 1er semestre 2018 avec + 41 M€ de déficit comparé à la même période de 2017 (eTeMa juillet-août 2018). Les importations sont en hausse continue, en volume (+2,5 % en 2017, +3,5 % sur 6 mois de 2018) comme en valeur (+3,8 % en 2017, +8 % en 2018). La montée des achats en provenance de la Pologne y contribue fortement.

 Autre sujet d'inquiétude: le Brexit. La filière volailles s'inquiète des conditions de sortie du Royaume Uni de l'Union européenne. Ce pays absorbe en effet 27 % des contingents d'importations de volailles à droits nuls ou limités, accordés par l'Union européenne à ses partenaires commerciaux (dont Brésil et Thaïlande). Cela représente 239000 t sur 881000 t. Les autres États membres souhaiteraient que le Royaume parte avec ses volumes pour éviter de voir ces tonnages redirigés vers eux, encombrant d'autant le marché de l'Union. Si les achats globaux de viandes et élaborés de volaille par les ménages français sont relativement stables (-0,5 % en 2017, +0,3 % sur 8 périodes 2018), les évolutions sont très différentes selon la nature des produits.

Découper Le poulet

Les achats de poulets entiers baissent inexorablement. Les Français leur préfèrent désormais, comme leurs voisins européens, les découpes et les élaborés. En 20 ans, les achats des ménages sont passés de 52 % de poulets entiers  à 25 %, tandis que les découpes grimpaient de 33 à 47 % et les élaborés de 15 à 28 %. Cela n'est pas sans conséquence pour la filière. Car si un quart des volailles françaises sont produites sous signes de qualité, cela concerne essentiellement les volailles vendues entières. La valorisation des volailles de qualité est plus compliquée dans des nuggets, où le goût de la volaille est partiellement masqué par celui des autres ingrédients.

Les filières qualité ont donc un véritable défi devant elles pour ne pas perdre progressivement des parts de marché au profit de la volaille standard qui de son côté poursuit un objectif de montée en gamme sur plusieurs aspects (bien-être animal, réduction des antibiotiques...). Le plan de la filière issu des États Généraux de l'Alimentation s'attaque à la question. Pour les labels, il prévoit non seulement d'augmenter de 20 % les ventes en RHD, mais aussi de passer de 30 % à 50 % de découpes en GMS (Grandes et Moyennes Surfaces de distribution)  et RHD (Restaurants Hors domicile) et de doubler les exportations en passant de 4 à 8 % du total des volailles. Ces objectifs de marché devront être atteints pour que celui de faire croître la production de volailles label de 15 % en 5 ans, ne conduise à une surproduction et une baisse de la rémunération des éleveurs. Crainte clairement exprimée par le Synalaf (syndicat National des Labels Avicoles de France) en matière de production biologique. Après une croissance de 36 % entre 2014 et 2017, les mises en élevage de volailles biologiques auraient crû de 27 % sur les 4 premiers mois de 2018 comparés à la même période de 2017. Les ordres de grandeur sont les mêmes pour le développement des œufs biologiques. S'y ajoute un grand nombre de projets de construction de bâtiments pour les 18 prochains mois. 1. Grandes et Moyennes Surfaces de distribution 2. Restauration Hors Domicile 3. Syndicat National des Labels Avicoles de France.

En passant par la Bretagne

Au travers de la Société Bretonne de Volaille (SBV), créée en 2015 pour regrouper la dizaine d'outils industriels acquis entre 2004 et 2014, l'entreprise LDC s'est progressivement imposée comme acteur majeur de la volaille en Bretagne. Elle réaliserait aujourd'hui la moitié des abattages de la région (ABC analyse et Perspectives – Edition 2018 – chambre d'agriculture de Bretagne). LDC a pour objectif de reconquérir 10 % du marché français de la volaille standard à partir de l'Ouest, où se situent un grand nombre d'élevages et d'outils industriels. Dernière opération en date en 2018, la reprise partielle de l'entreprise Doux suite à sa mise en liquidation judiciaire. L'entreprise Al-Munajem, déjà actionnaire de Doux, emporte la partie poulets exports et la marque Doux pour la péninsule arabique. Les volumes seront réduits au tiers des tonnages actuels. Cela signifie que deux tiers des surfaces de poulaillers aujourd'hui consacrées à l'export (environ 300000 m2) doivent être reconvertis vers d'autres productions, en l'occurrence des poulets lourds et semi-lourds destinés à LDC. L'entreprise sarthoise a également annoncé qu'il faudrait monter en gamme en termes de bienêtre animal et d'environnement. Cela suppose pour les éleveurs concernés d'investir pour adapter leurs bâtiments (sol bétonné, éclairage naturel, ventilation...). En auront-ils les moyens et la volonté alors que d'aucuns estiment le coût des travaux nécessaires à 50 €/m2 ?

Après une nette remontée des revenus entre les années 2007 et 2013, les éleveurs bretons connaissent depuis 5 ans des résultats qui fluctuent au gré des difficultés de l'aval et de l'allongement des vides sanitaires qui leur sont imposés. Le tout dans un climat permanent d'incertitude. L'avenir du maillon production et celui de l'abattage sont étroitement liés. Des investissements des uns dépendront les résultats des autres et réciproquement. L'ensemble de la filière est conscient qu'elle se situe aujourd'hui à un tournant majeur de son histoire et que tout se jouera dans la façon de le négocier.