Le plateau des 1 000 fromages est déserté

Le temps des bilans a déjà commencé. Deux mois de confinement, c’est une rude période pour l’économie, car depuis le 16 mars, chacun compte ses pertes, les évalue jusqu’au centime près, avec en arrière-plan, l’espoir de la reprise, surtout à quelques encablures de l’été, et le vœu que la puissance publique, nationale ou européenne, ne les laisse pas tomber.

Parmi les secteurs agricoles et alimentaires fortement affectés par la crise sanitaire et économique, il y a les symboliques fromages. Pas forcément ceux qui entrent dans la composition des plats cuisinés, mais surtout ceux qui, sur le plateau, agrémentent en France – mais aussi ailleurs car la France exporte ses fromages – la fin des repas, c'est-à-dire les fromages à la découpe, et plus spécifiquement encore ceux produits sous signes de qualité. De par la perte de débouchés qu'elles ont occasionnée, les fermetures des marchés de plein vent et surtout des restaurants, cafés et hôtels, quand ce n'était pas les espaces dédiés à la découpe dans les GMS, les ventes de fromages AOP ont subi un choc de demande.

Les consommateurs n'avaient de surcroît pas trop la tête à consommer des fromages AOP, symbolisant souvent les fins de repas festifs, en famille ou avec des amis. Depuis près de 50 jours, les ventes de fromages AOP ont chuté de 60%, et cette baisse touche à peu près toutes les régions identifiées par ces différents signes de qualité. Les témoignages des producteurs affluent, qui indiquent des pertes de chiffres d'affaires comprises entre – 40 et – 60%, du fait de l'effondrement de la demande. Comme ailleurs, s'en sont suivis des mises en chômage partiel, voire, mais plus rarement, des licenciements secs. L'issue de secours formée par des points de vente alternatifs comme les Drive artisanaux, a bien été réelle, mais malheureusement incomplète.

D'autres solutions ont été adoptées, comme la fabrication de fromages à affinage plus étalé dans le temps, qui permettrait aux producteurs d'écouler cette production lors des vacances d'été sur les marchés locaux (avec le degré d'incertitude que l'on connaît sur ce thème des congés estivaux). D'autres ont congelé, par dérogation accordée, le lait caillé (Cantal, Saint-Nectaire par exemple), pendant que leurs homologues ont décidé de n'effectuer qu'une seule traite par jour.

Il n'en reste pas moins que ces stocks devront être écoulés dans les semaines qui viennent, l'hypothèse étant faite que la consommation va se redresser. Cette perspective est lourdement conditionnée par deux paramètres : l'engouement retrouvé par les consommateurs pour ce type de produits (sera-ce une priorité ?), et la possibilité de prendre des congés d'été, sachant que les enquêtes montrent que près d'un français sur deux envisage de ne pas partir ni en juillet ni en août. Un scénario catastrophe pour une filière fromages AOP qui a déjà perdu, en six semaines, près de 160 millions d'€, et qui emploie plus de 50 000 personnes, allant des éleveurs aux fromagers des quartiers.

Les pertes des éleveurs, des transformateurs et autres producteurs fermiers, se propageront alors inévitablement sur les recettes des régions, dans l'hypothèse où la demande ne se redresserait pas nettement et dans le cas où la circulation des personnes serait encore restreinte durant l'été. La consommation alimentaire a certes mieux résisté à la crise que d'autres secteurs d'activité, mais une telle résistance apparaît fortement contrastée selon les filières.

Les biens alimentaires de première nécessité ont été privilégiés, au détriment des produits sous signes de qualité. Cela suggère, pour les années à venir, de bien ajuster la stratégie du côté des entrepreneurs, enclins ces derniers temps à mettre en exergue la montée en gamme. Il faudra donc composer. En attendant, vivement le retour du plateau de fromages sur nos tables !           

Extrait de la lettre économique des Chambres d'agriculture n°404 - mai 2020 - Thierry POUCH - APCA