Ardennes : ils se sont lancés dans "l'imporc-export"

Céréaliers dans les Ardennes et dans la Meuse, Karine et Christian Renaudin ont créé Renaugrain en 2011 pour importer de Hollande du compost de lisier de porc puis des granulés déshydratés. L’objectif est de compenser les exportations indirectes, via les grains et autres pulpes, de phosphore et de potasse vers la Hollande. L’entreprise poursuit sa quête de fournisseurs pour répondre à la demande, en bio comme en conventionnel.

Renaugrain, c'est une histoire d'import-export, aux sens agronomique et économique du terme. Pour ne pas dire d'« imporc-export ». « Dans notre région, on a beaucoup de blé, de luzerne, d'orge ou encore de betteraves et de moins en moins de bêtes », déclare Christian Renaudin. « Une grande partie de ces produits prend la direction de la Hollande, où la situation est exactement inverse. Mon idée, c'était de faire en sorte que le phosphore et le potassium qui partent dans les grains, dans la paille ou encore dans les pulpes de betterave reviennent ici sous forme de fumier. D'après un calcul que j'ai effectué à partir des documents des Douanes, c'est plus de 6,8 millions unités de phosphore et près de 1,8 millions unités de potasse qui partent ainsi tous les ans ». Pendant des années, Karine et Christian Renaudin ont importé compost et fientes, assurant ainsi en organique toute la fertilisation de leur exploitation, comptant deux entités de 200 ha à Juniville (Ardennes) et 100 ha à Sivry (Meuse). En 2011, ils créent Renaugrain pour servir la demande de quelques voisins. Si le compost de lisier remplit ses bons offices fertilisants, il n'est pas sans inconvénients : frais de transport, contraintes de manutention et d'entreposage, pertes au stockage et menaces réglementaires afférentes, irrégularités de la composition, hétérogénéité d'épandage. Sans oublier les odeurs.

Assemblée nationale, ambassade de Hollande

La parade existe : elle consiste à dessécher le compost pour fabriquer des granulés. Ces derniers permettent de réduire les tonnages de 1 à 9 par rapport au lisier et de 1 à 3 par rapport au compost. Ils battent en brèche tous les autres inconvénients, dont les odeurs, et permettent en prime d'élargir les fenêtres d'épandage, au plus près des cultures, au moyen d'un épandeur centrifuge présent dans toutes les cours de ferme. Christian Renaudin avait identifié en Hollande une petite usine fabriquant de tels granulés. Encore fallait-il établir le contact. « Mon mari est allé voir la députée des Ardennes Bérangère Poletti », se souvient Karine Renaudin. « Il se trouve qu'elle était présidente du groupe d'amitié entre le parlement néerlandais et l'Assemblée nationale. Elle a rédigé un courrier à l'attention du ministre néerlandais de l'agriculture, qui l'a ensuite mis en contact avec le service agricole de l'ambassade des Pays-Bas à Paris. C'est ainsi qu'en 2013, on s'est retrouvé dans son bureau de l'Assemblée nationale, avec des représentants de l'ambassade des Pays-Bas, du syndicat porcin néerlandais ZLTO et de la DTT des Ardennes. Nous, simples agriculteurs, je n'y croyais pas ». Et pourtant. En 2015, Renaugrain devenait le représentant français de l'usine hollandaise de granulés de lisiers de porc et écoulait 90% des 6.000 t produites annuellement.

Investissement limité

Renaugrain commercialise la production dans une quinzaine de départements du Grand Est, de Bourgogne et d'Ile-de-France. Sans aucune publicité. Il faut dire que l'entreprise prend très peu de marge comparativement à celle pratiquée par les coopératives et négoces. « Ce genre de produit ne les intéresse pas », confie Christian Renaudin. « C'est regrettable parce que les échanges de type céréales contre granulés de lisier participerait à une économie circulaire entre notre région et les Pays-Bas, avec tous les gages de traçabilité à la clé. Si je prends très peu de marge, c'est aussi parce que j'ai peu de frais ». Au niveau des investissements, Renaugrain a construit un bâtiment pour réaliser un stock tampon de granulés, qui doivent être entreposés sous abri. L'exploitation a de son côté investi dans un distributeur d'engrais de grande capacité (13.000 l), dont l'alimentation des disques par tapis respecte l'intégrité des pellets et dont la précision permet d'épandre jusqu'à 36 m, avec la possibilité de descendre la dose jusqu'à 300 kg/ha, le tout en roulant dans les traces du pulvérisateur.

« Faire quelque chose pour les paysans »

Le couple ne ménage pas ses efforts et les allers-retours entre les Ardennes et la Hollande. Depuis le début de l'année, l'entreprise a intégré dans son catalogue Fertisol Bio, un granulé de fientes de poule compostées et déshydratées, qui a l'avantage d'être riche en azote et d'être certifié bio. « La fourniture d'azote est une réelle problématique en bio », analyse Christian Renaudin. « De mon côté, je vais essayer d'approcher les jardineries, ce qui suppose de connaître strictement les règles en matière d'étiquetage », explique son épouse. Renaugrain poursuit sa quête de fournisseurs pour répondre à la demande croissante de la clientèle, en bio comme en conventionnel. « Si les paysans ne font rien pour les paysans, qui le fera », s'interroge Christian Renaudin. A titre personnel, le couple escompte simplement un complément, pour ne pas dire un nutriment, de retraite.