Le blé français est-il en train de perdre le marché algérien ?

L’année 2019 s’annonce très incertaine pour les opérateurs français exportant du blé en Algérie. Le contexte électoral Algérien, notamment marqué par le renoncement à un cinquième mandat du président Abdelaziz Bouteflika et le report des élections présidentielles à une date indéterminée, se rajoutent aux nombreuses interrogations quant aux perspectives commerciales pour la fin de campagne 2018/2019.

Le blé est un élément fondamental dans les relations économiques qu'entretiennent l'Algérie et la France. La prépondérance du blé dans l'alimentation des algériens a toujours constitué un enjeu stratégique pour le plus grand pays d'Afrique, notamment dans l'optique du maintien de la paix sociale. L'enjeu économique et politique du blé pour l'Algérie et la France se dessine dans la relation de dépendance économique que les deux pays ont su nouer à travers les échanges commerciaux de ce produit. Ainsi, il apparaît que près de 40 % des exportations totales de blé tendre français sont à destination de l'Algérie, pour des niveaux d'exportations de 3 à 5 millions de tonnes sur ces 10 dernières années. Si la récolte algérienne de blé a atteint un record historique en 2018 avec plus de 3,9 millions de tonnes (graphique 1), la consommation nationale du pays s'élève à plus de 10 millions de tonnes, rendant le pays structurellement dépendant aux importations et plaçant l'Algérie comme le 3ème importateur mondial de blé. La France reste le premier fournisseur de l'Algérie avec 40 % de part de marché en 2017, mais elle a perdu beaucoup de terrain au profit des autres grands exportateurs tels que l'Argentine, le Canada ou les Etats-Unis. A titre de comparaison, sur la période 2009-2016, la France représentait en moyenne 63 % des importations algériennes de blé.

Un essoufflement des importations françaises

La reconquête du marché algérien semblait partir sur de très bonnes bases pour la campagne 2018/2019. Alors que la campagne précédente s'avérait assez décevante, 1,15 million de tonnes de blé supplémentaire a été expédié par les opérateurs français sur le cumul juillet-décembre de 2018 par rapport à la même période l'an dernier. Cependant, la tendance s'est inversée dès 2019, les expéditions de blé français à destination de l'Algérie se contractant de 273 000 tonnes sur les trois premiers mois de l'année 2019, en comparaison du cumul janvier-mars 2018 (graphique 2).

Plusieurs facteurs justifient ce retournement : une récolte historique permettant de réduire les achats à l'importation ; l'achat de blé en provenance de concurrents tels que l'Argentine (pays devenu le 2ème fournisseur de l'Algérie avec une part de marché de 20 % sur ses importations en 2017), dont les récoltes se sont achevées en janvier ; une demande en baisse du fait d'un budget public amoindri avec la persistance d'un prix international bas pour le pétrole, alors que ses recettes d'exportations pèsent pour 60 % des ressources budgétaires ; et des ajustements structurels qui occasionnent des effet de contraction sur l'économie algérienne (baisse des dépenses publiques, hausse des impôts). Il faut également rajouter que la lente érosion de la valeur du Dinar, liée à la chute des prix du pétrole et à la dégradation des réserves de change, ont considérablement alimenté l'inflation dans le pays et provoqué une dépréciation de la monnaie algérienne, renchérissant ainsi le coût des importations et donc, potentiellement, de la demande en blé importé. La dégradation des réserves de change soulève ainsi de vives inquiétudes sur l'équilibre macroéconomique du pays, puisque ces dernières s'élèvent à 82 milliards de dollars fin 2018 contre 178 milliards de dollars en 2014. Au final, le gouvernement algérien a utilisé plus de 50 % de ses réserves de change en l'espace de quatre ans pour compenser ses pertes des recettes d'exportations en hydrocarbures, et stabiliser tant bien que mal son économie.

Le blé russe, nouveau concurrent de taille pour le blé français ?

Parmi tous ces remous économiques et politiques qui touchent l'Algérie, la Russie continue d'assoir son influence et ses intérêts dans le pays, dans la longue tradition des bonnes relations diplomatiques qui animent les deux pays depuis l'indépendance de l'Algérie. Alors que leurs échanges bilatéraux se concentraient principalement sur le secteur de l'énergie et des équipements militaires, le blé pourrait être un nouvel atout dans la manche de Moscou. Plusieurs rencontres entre des délégations algériennes et russes ont eu lieu en 2018, et les représentants du ministère de l'agriculture et de l'Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC) ont plusieurs fois déclaré être très intéressés par l'achat de blé russe. Un premier lot test de 40 tonnes de blé russe a d'ailleurs été importé début 2019, les autorités algériennes souhaitant d'abord expérimenter la qualité de ce blé avant de procéder à des achats de plus grande envergure. Au regard de la force de frappe de Moscou sur le marché international du blé (37 millions de tonnes de blé exporté pour la campagne 2018/2019), l'Algérie apparaît comme un marché prometteur pour l'expansion de son activité commerciale céréalière.

Les opérateurs français risquent donc d'être confrontés à une concurrence encore plus accrue sur son principal débouché à l'exportation. Face à la volonté algérienne de diversifier ses approvisionnements alimentaire et à la période de transition économique et politique qui s'annonce dans le pays, les autorités diplomatiques françaises doivent absolument faire valoir les intérêts de la filière céréalière. Le rayonnement de l'agriculture française et de son poids géostratégique à l'international en dépendent.  

Extrait de l'étude économique de Mars 2019 - Quentin MATHIEU