Guerre en Ukraine - Comment la tonne de blé a-t-elle largement dépassé les 400 euros ?

Jamais une campagne de commercialisation du blé tendre n'a affiché autant de fermeté, de volatilité et d'incertitude. Il faut remonter aux années 2007-2008 ou 2010-2011 pour retrouver certaines similitudes, sans jamais atteindre toutefois les niveaux de prix records enregistrés cette semaine. Comment en est-on arrivé là ?

De 250 euros/t en début de campagne de commercialisation, les cours du blé tendre en Rendu Rouen ont atteint des sommets, avec un pic à 437 euros la tonne le 16 mai ! La conséquence d'une suite d'évènements, qui n'ont cessé d'alimenter la hausse du blé tendre depuis le début de l'année 2022.

Géopolitique d'une part...

Le marché était déjà assez ferme de septembre à la fin de l'année 2021 avec des cotations du blé tendre rendu Rouen autour de 280 euros/t, mais ce sont les évènements en Ukraine (cette dernière et la Russie étant deux exportateurs majeurs sur le marché international du blé tendre) qui ont mis le feu aux poudres. L'entrée de l'armée russe sur le territoire ukrainien le 24 février a fait exploser les prix du blé tendre bondissant à 310 euros/t, contre 287.50 euros/t la veille. Le conflit a entraîné l'arrêt des exportations par voie maritime des lots de blé ukrainiens, tandis que la Russie a pu continuer d''expédier ses volumes.

A ainsi démarré une nouvelle période d'extrême volatilité et de fermeté (rappelant la campagne 2007/2008 notamment) avec des cours affichant des évolutions de plusieurs dizaines d'euros en une séance sur le marché à terme Euronext. Au 2 mars, le cours blé tendre rendu Rouen atteignait 341.50 euros/t, 407 euros/t le 7 mars pour culminer au niveau record de 437 euros/t le 16 mai, suite à l'annonce de mise en place de restrictions à l'export de blé par le gouvernement indien avec effet immédiat.

L'Inde, qui n'est pourtant pas un exportateur majeur, avait annoncé quelques semaines auparavant pouvoir exporter du blé sur le marché mondial et l'alimenter en partie dans un contexte de retrait d'un des principaux fournisseurs de blé mondial qu'est l'Ukraine. De quoi soulager un peu la tension observée sur le marché du blé. Mais la sécheresse qui s'est abattue sur le pays a obligé les autorités indiennes à revoir leur copie. Une décision qui a fait bondir le prix du blé tendre de 20 euros la tonne en un week-end. Des exceptions pourraient toutefois intervenir en fonction de l'état d'urgence de certains pays à s'approvisionner pour éviter une famine.

... Et conditions météo dans l'Hémisphère nord d'autre part

L'ascension des cours du blé tendre, en plus de la quasi-absence de l'Ukraine sur le marché mondial du blé (quelques lots ont pu circuler en train), a aussi été permise par des conditions de culture particulièrement sèches en Europe occidentale, notamment en France, et aux États-Unis venant ainsi compromettre le potentiel des rendements de la récolte de blé 2022, pour couronner le tout.
Au 15 mai, seulement 27% des parcelles de blé d'hiver US affichaient un état "bon à excellent" d'après le ministère de l'Agriculture états-unien contre 48% l'an passé et 51% en moyenne quinquennale.
Côté français, selon le dernier bulletin Céré’Obs de FranceAgriMer, 73% des surfaces de blé tendre évoluaient dans des conditions "bonnes à très bonnes"  (82% la semaine précédente et 79 % en 2021).

Notons des précipitations importantes sont attendues dans les 7 prochains jours aux États-Unis et devraient rassurer les producteurs.
En revanche, les pluies qui tombent sur l'Hexagone depuis quelques jours seraient insuffisantes pour rattraper les effets de la sécheresse sur les cultures. Interrogé à ce sujet le 18 mai, Jean-François Loiseau, président d'Intercéréales assure que les dégâts ne sont plus rattrapables. "Nous perdons 100 000 t par jour", estime-t-il.

Légère détente ces derniers jours... très légère

Depuis le 18 mai, le marché du blé tendre affiche une certaine détente avec trois séances de baisse consécutives sur Euronext. Le contrat Blé est ainsi passé de 438.25 euros/t le 17 mai à 420,75 euros/t le 20 mai.

Les négociations entreprises par l'Organisation des nations unies avec la Russie visant à rétablir tant que possible les exportations de grains ukrainiens au départ de ce sports maritimes (avec des opérations de déminage) ont pu peser un peu sur les cours du blé. « La Russie doit permettre l’exportation sécurisée des céréales stockées dans les ports ukrainiens », estime António Guterres, s’exprimant à New York le 21 mai à l’occasion d’une réunion ministérielle à New York. Le secrétaire général des Nations unies a également émis le souhait que « la nourriture et les engrais russes aient accès sans restriction aux marchés mondiaux »

Selon les opérateurs commerciaux, cette baisse reste avant tout liée à des éléments exogènes aux fondamentaux de marché comme des prises de bénéfices de fonds financiers. L'inflation des prix alimentaires actuelle fait également craindre une baisse de la consommation mondiale qui pourrait peser sur les cours dans les mois à venir.

Pour autant, ce retrait observé reste minime au regard des niveaux de prix enregistrés par le blé tendre, représentant moins de 5% de son prix.