Guerre Russie-Ukraine : « des conséquences sévères sur le marché des engrais »

Le conflit en Ukraine entraîne une forte hausse des prix des engrais minéraux. La Russie est un acteur incontournable du marché et son isolement économique devrait induire des ruptures d’approvisionnement.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie fait grimper les prix des engrais. Les prix de l’urée et du DAP ont été multipliés par trois depuis début de l’année, alors même que les prix ont doublé en 2021. L’urée vaut désormais 777 €/t (livraison mars) et le DAP 895 €/t. Et ce n’est probablement pas fini : les sanctions économiques prises à l’égard de la Russie et de la Biélorussie vont priver l’agriculture mondiale de volumes d’engrais considérables, qui font craindre de profonds bouleversements. « La Russie réalise 13 % du commerce de produits intermédiaires d’engrais (ammoniac, roche de phosphate, soufre) et 16 % des échanges d’engrais finis », rappelle Marc Zribi, chef de l’unité Grains de FranceAgriMer, le 28 février 2022, en conférence spéciale lors du Salon de l’Agriculture.

Les regards des observateurs se tournent vers l’Amérique Latine. « Le Brésil achète près de 60 % des volumes d’engrais azotés russes. Il y a une question sur les semis de maïs à venir, avec un risque de rupture d’approvisionnement », s’inquiète Marc Zribi. Une sous-fertilisation des 20 millions d’hectares de maïs cultivés par le troisième producteur mondial ne serait pas sans conséquences sur le marché. Le maïs n’est pas la seule culture concernée. « Les engrais azotés sont également indispensables aux céréales, à la canne à sucre et à la betterave », rappelle l’expert.

La Russie est également un grand exportateur d’engrais P et K : elle fournit 17 % du marché des engrais phosphatés. Pour la potasse, Russie et Biélorussie assurent 42 % des exportations mondiales. Là aussi, le premier acheteur est – de loin – le Brésil. « Une rupture des volumes achetés par le Brésil ne pourrait être compensée par le Canada, l’Allemagne, Israël et la Jordanie », alerte Marc Zribi. Et les carences en potasse pénalisent rapidement les rendements des betteraves ou des pommes de terre.

En France, les effets de la crise sur les disponibilités pourraient également se faire sentir. La France importe la moitié de sa consommation d’engrais. Dans l’immédiat, les acteurs se retirent du marché et attendent de voir l’évolution du conflit.

Parmi les engrais minéraux, seul l’ammonitrate est fabriqué en France et en Europe… à partir d’un gaz désormais hors de prix. Pour réduire sa dépendance à cette matière première, notamment en provenance de Russie, et proposer des engrais « décarbonés », l’industriel Yara, leader mondial des engrais minéraux azotés, vient d’annoncer que 30 % de ses ammonitrates seront issus de l’hydrolyse de l’eau – et non de gaz - à compter de 2023. Cette « technologie de rupture », qui nécessite des investissements massifs, coûte toutefois 4 à 5 fois plus cher.

« L’agriculture et l’agroalimentaire sont extrêmement stratégiques et doivent revenir au premier plan des trajectoires de notre pays », martèle Jean-François Loiseau, président de la commission International de FranceAgriMer. « Nous avons laissé l’industrie des engrais nous échapper. Il faut désormais se pencher sur la réindustrialisation du complexe agricole et agroalimentaire de l’Europe ».

L’élu, également président de l’interprofession céréalière et président de l’une des premières coopératives françaises, appelle l’Union Européenne à abandonner en l’état la stratégie Farm to Fork. « Devant la situation, parler de moins de terres arables et moins d’innovation, c’est inconcevable. La transition écologique c’est bien mais il faut remettre nos intérêts stratégiques au-dessus de la pile ».