« Les arrachages de haies et arbres champêtres restent supérieurs aux plantations »

La prochaine Pac devrait faire la part belle à l’agroforesterie, via le futur « Éco-régime » qui vise un objectif de 10% de surfaces d’intérêt écologiques sur les exploitations à l’horizon 2030. La France n’est pas en reste avec le Label Bas Carbone « haies » et le Plan de relance, qui réserve 50 millions d’euros à la plantation de 7.000 km de haies. Où va l’agroforesterie ? Éléments de réponse avec Fabien Balaguer, directeur de l’Association française d’agroforesterie (AFAF).

Peut-on quantifier la place de l’agroforesterie en France ?

Fabien Balaguer : c’est l’éternelle question. Sur un territoire, on n’est jamais à zéro agroforesterie et on n’est jamais à l’optimum non plus. Quantifier l’agroforesterie est très difficile, car il existe une diversité de systèmes et pratiques possibles en fonction des contextes, et des niveaux d’intégration arbre-agriculture multiples. À l’échelle nationale, on estime que trois formes majeures occupent chacune environ 200.000 ha : le bocage, le pré-verger et les associations intra-parcellaires d’essences forestières en zones de cultures ou d’élevage (dont les cultures céréalières dites en « allées », les parcours à volailles, etc.). Si l’on ajoute les autres formes d’agroforesterie, plus minoritaires (ex. les vergers maraichers), on atteint environ un million d’hectares.

Fabien Balaguer, directeur de l’Association française d’agroforesterie (Crédit photo : AFAF)
Fabien Balaguer, directeur de l’Association française d’agroforesterie (Crédit photo : AFAF)

Quels sont les freins au développement de l’agroforesterie ?

Fabien Balaguer : les discours réducteurs, consistant à résumer l’agroforesterie à de la plantation d’arbres dans les champs, sont contre-productifs. En France, l’agroforesterie s’est développée au cours des dernières décennies sous la houlette d’associations de planteurs d’arbres. Mais le but premier de la démarche va bien au-delà de la simple question paysagère. L’approche agroforestière agrège une cause environnementale et patrimoniale à un redéploiement de pratiques agricoles durables. En d’autres termes, l’objectif visé, c’est le développement d’une agro-écologie « du sol au paysage », avec un socle agronomique solide pour répondre véritablement aux préoccupations techniques des agriculteurs. Il faut considérer l’arbre comme un outil de production, une plante cultivée à part entière, au sein de systèmes agricoles complexes. L’arbre doit rentrer dans l’économie des exploitations, et dans le calendrier de travail de l’agriculteur.

Quelles formes de soutien attendez-vous de la prochaine Pac ?

Fabien Balaguer : dans les cadres actuels, pour engager une transition agroforestière « complète » et obtenir des aides à la plantation ou à la gestion, un agriculteur doit émarger à une multitude de mesures déconnectées les unes des autres, en « saucissonnant » chacune de ses parcelles pour les faire rentrer dans des cases souvent rigides. Il lui faut alors distinguer ici une mesure sur la haie, là une mesure sur l’arbre intra-parcellaire, là-bas une mesure sur les ripisylves de bord de cours d’eau, etc. Or, un parcours volailles par exemple, c’est un emboitement de formes agroforestières, complémentaires les unes des autres. Un décloisonnement des aides est donc nécessaire pour qu’un soutien efficace aux bonnes pratiques fonctionne sur le long terme. Il faut clarifier, adopter une approche systémique avec des mesures correspondant à la réalité du terrain.

Seriez-vous favorables à des aides à l’hectare pour encourager le développement de l’agroforesterie, comme c’est le cas par exemple pour l’agriculture biologique ?

Fabien Balaguer : je ne pense pas que ce soit à l’ordre du jour et nous n’y sommes pas particulièrement favorables. Nous prônons d’abord un modèle qui doit être rentable et viable en lui-même ! L’agroforesterie, c’est bien une intégration de l’arbre dans l’agronomie et dans l’économie des exploitations, avec des pratiques de gestion durable des sols et une agriculture fonctionnelle autour des arbres. C’est cette approche intégrée qui fait encore défaut. S’il faut bien sûr maintenir des aides à la plantation, il faut soutenir davantage la prise de compétences et l’accompagnement qui permettent à l’agriculteur d’engager un changement de pratiques « par et avec l’arbre ».

La gestion durable des éléments ligneux est essentielle car, encore aujourd’hui, on arrache plus de haies et d’arbres champêtres que l’on en plante. Par gestion durable, j’entends les mille et une manières de valoriser l’arbre agricole, pour une autoconsommation sur la ferme (énergie, fourrage…) ou par la création de filières qui adoptent la bonne échelle territoriale. Le gros du sujet, c’est de redéployer les savoir et savoir-faire de la culture de l’arbre, donc de son intégration dans la production agricole. Pour cela, la mise en place de programme d’animation technique et de formation dans les territoires est fondamentale, sujet sur lequel nous intensifions chaque année nos actions.