Lise, néo-vigneronne : « Une belle histoire de transmission »

A Vieillevigne, à 30 kilomètres au sud de Nantes, Lise Boin, 37 ans, s’est installée depuis 2021 sur une exploitation viticole plutôt atypique : ici, pas de muscadet, mais de drôles de cépages dont les noms, floréal, chambourcin ou plantet, ne rappelleront des souvenirs qu’aux plus anciens. Après une transmission hors cadre familial qui aura duré près de 4 ans, la jeune femme se sent prête à vivre sa nouvelle vie, riche de sens et de lien avec la nature.

Ses origines tourangelles lui ont sans doute donné le goût du bon vin et de la douceur de vivre. Ses études, lycée agricole à Laval, BTS ACSE à Chartres et école de commerce en région parisienne, l’appétit pour les bifurcations et les nouveaux horizons. Et sa passion de jeunesse pour le cheval, l’attachement à la terre et au vivant.

C’est pourquoi lorsque Lise Boin a annoncé, fin 2019, à 33 ans, vouloir quitter son métier de commerciale en assurances et s’installer en viticulture, sa famille et ses amis n’ont pas été complétement surpris. Encore moins son époux, Sébastien, lui aussi commercial dans le monde agricole, puisqu’il s’agit d’un projet de couple. « L’installation agricole nous trottait dans la tête depuis quelque temps », confie Lise. « On avait envie de trouver un peu plus de sens dans nos métiers, de savoir pourquoi on se lève le matin ! ». Lise s’est donc lancée la première dans l’aventure. Sébastien la rejoindra sans doute début 2025.

Une vidéo qui a tout déclenché

C’est pourtant un drôle de concours de circonstances qui a conduit Lise sur le chemin de cette installation viticole : à la rentrée 2019, elle habite alors Vieillevigne, dans le sud du département de la Loire-Atlantique, avec son mari et ses deux enfants et elle travaille dans les assurances agricoles depuis une dizaine d’années. Comme son employeur est partenaire d’une opération autour de la transmission agricole, elle tombe sur une vidéo de présentation d’exploitation à transmettre en avant-première : elle apprend alors que son voisin, Yann Corcessin, l’un des deux seuls viticulteurs de la commune où elle réside, cherche un repreneur.

Yann est client des assurances de Lise et Lise est cliente des vins de Yann, mais aucun des deux n’avait connaissance des projets de l’autre. La vidéo produit un déclic chez la jeune femme : l’exploitation à reprendre est à 2 km de chez elle et cela devient presque une évidence de se lancer. Elle prend contact avec Yann. Comme il est en période de vendanges, elle vient en observatrice. Et très vite, les échanges deviennent plus concrets, plus sérieux. S’y joignent l’épouse de Yann, qui est associée non exploitante, et Sébastien, l’époux de Lise.

« On prendra le temps de transmettre »

« Yann nous a dit, « s’il faut prendre le temps de transmettre, on prendra le temps » : c’est exactement ce dont j’avais besoin ». En effet, si Lise est allée très vite pour prendre la décision de changer de vie et de métier, pour la transmission proprement dite, il lui fallait du temps. Celui de se former en viticulture et en œnologie, ce qu’elle réalise en 2020, mais, surtout, celui d’apprendre le métier et de comprendre le fonctionnement de l’exploitation.

Pour cela, la jeune installée et son cédant décident de s’associer, à parts égales, durant trois années, à partir de 2021. Cette année 2023 est donc la dernière de ce cycle, au cours duquel Lise aura beaucoup appris, beaucoup absorbé des connaissances et de l’expérience de Yann, et au cours duquel ce dernier aura expérimenté un peu de lâcher-prise. « Ce n’est pas facile pour lui, l’exploitation, il y a passé sa vie, c’est « son bébé » ».

Certes, Lise entretient un rapport un peu différent avec son travail, qu’elle sait distinguer de « sa vie », notamment sa vie de famille, qui passera souvent en priorité (sauf pendant les vendanges !). Mais au cours de ces trois années, elle reconnait avoir eu « beaucoup d’échanges », avec le vigneron, « on n’est pas toujours d’accord, mais c’est fluide, c’est riche, c’est une chouette histoire. Il m’a transmis sa passion, en particulier celle pour les cépages oubliés ».

« En m’installant ici, je veux respecter le lieu, l’outil de travail qui m’est transmis. Même si mon cédant part à la fin de l’année, j’ai la chance d’avoir encore ses deux salariés, Hugues et Daniel, qui sont plus que précieux ». (photo Catherine Perrot)

Cultiver la différence

Le vignoble de Rochanvigne (qui tire son nom des trois communes sur lesquelles s’étendent ses vignes, Rocheservière, Saint-André et Vieillevigne) est en effet une exploitation viticole de 26 ha, qui « casse les codes », comme le définit Lise. D’abord, parce que depuis toujours il mise presque tout sur la vente directe : elle représente 85% de son chiffre d’affaires et c’est évidemment « un vrai point positif ».

Ensuite, parce que, même si on est encore en Pays nantais, le vignoble de Rochanvigne ne produit pas de muscadet, « c’était un choix de ne pas avoir d’AOC, pour être libre » ; à la place, une vingtaine de références de vins de pays, blancs, rouges et rosés, tranquilles et à bulles, dont des classiques, chardonnay, merlot, grolleau, sauvignons gris et blanc, cabernet franc, et des plus rares, floréal, chambourcin, plantet, resdur, sauvignac…

Caractéristiques de ces cépages rares, dont certains sont anciens (chambourcin, plantet), d’autres nouveau-nés (floréal, sauvignac) : ils sont résistants à l’oïdium et au mildiou… Un sacré atout dans ce secteur atlantique où ces maladies font des ravages et où les traitements sont nécessaires. Et une sacrée aide pour l’obtention de la qualification HVE, Haute valeur environnementale, que Lise a insisté pour revendiquer.

Alors certes, ces cépages résistants n’avaient pas toujours bonne réputation. Trop vigoureux, trop productifs et résilients face au gel, ils ont même été longtemps interdits par l’Inao... « Mais leur vinification a beaucoup changé, on sait en faire du bon vin ». Lise ne renie d’ailleurs pas le côté « facile et accessible » des vins qu’elle produit. Mais elle rappelle qu’ils ne sont pas « que » cela : « Nous sommes surtout les vins du « Vin d’honneur » dans les mariages… Mais nous avons aussi la capacité d’être les vins de la table de mariage ! ».

Durant les trois années passées en co-direction avec son cédant, Lise a fait évoluer la communication : nouvelles étiquettes, nouveau logo, comptes Facebook et Instagram… (photo Catherine Perrot)