Trois (petits) constructeurs face au coronavirus

Gestion des salariés et des ateliers, approvisionnements en matières premières et composants, livraisons de matériels, impacts économiques à court et moyen termes : comment les constructeurs Arland (pulvérisation), Buchet (épandeurs et abris) et Elatec (maraîchage) traversent-ils l’épidémie de coronavirus ?

Cette sixième semaine de confinement marque pour certains constructeurs français ou implantés en France, et notamment les plus importants, la relance des chaines de production. Il en est ainsi pour Manitou à Ancenis (Loire-Atlantique) et Claas et ses usines de tracteurs au Mans (Sarthe) et de presses à Woippy (Moselle). Chez Sulky, les trois usines situées à Chateaubourg (Ille-et-Vilaine), Carvin (Pas-de-Calais, semoirs TCS) et Fontenay-sur-Eure (Eure-et-Loir, épandeurs trainés) ont repris le 14 avril. Chez Kuhn, l'activité des sept usines françaises a redémarré le 1er avril dernier, après une interruption de neuf jours. John Deere, qui fabrique des moteurs à Saran (Loiret) et des presses à Arc-lès-Gray (Haute-Saône) a relancé ses chaines début avril également. A Bierne (Nord), Kubota, qui assemble bon an mal an 1800 tracteurs M6/M7, avait fermé son usine dès le début du confinement, avant de relancer la machine il y a une dizaine de jours.

Faut-il préciser que dans tous les cas, la montée en charge est progressive et s'opère bien évidemment dans le strict respect des consignes sanitaires et en accord avec les représentants des personnels.

Chez Massey Ferguson en revanche, la reprise n'a pas encore sonné au sein de l'usine de Beauvais (Oise), le plus gros site industriel en matière d'agroéquipement sur notre sol, avec plus de 2500 emplois. Voilà pour quelques-unes des grosses entreprises du secteur. Mais qu'en est-il pour des TPE et PME ?

Arland : "32 salariés comme un seul homme pour poursuivre l'activité"

Fondée en 1994 et basée à Ploërmel (Morbihan), Arland (5,2 millions € de chiffre d'affaires, 32 salariés, groupe Buisard) fabrique des pulvérisateurs portés et trainés. « Le jour de l'annonce du confinement, j'ai rassemblé tous nos collaborateurs et à l'unanimité, ils ont décidé de poursuivre le travail », explique Landry Jaglin, directeur opérationnel.

« Certains d'entre eux avaient connu un épisode de chômage partiel il y a quelques années et n'avaient pas envie d'y regoûter, d'autant qu'à 39 heures par semaine, la perte de salaire aurait été significative. Aujourd'hui, trois salariés seulement manquent à l'appel pour cause de garde d'enfants. L'autre élément déterminant est lié à notre nouvelle usine, inaugurée à l'automne dernier, et qui laisse de larges espaces entre les opérateurs. Nous avons par ailleurs mis en place toute une organisation pour l'embauche, les pauses, l'accès à la cantine et la débauche. Nous avions enfin la chance d'avoir un carnet de commandes bien rempli et je souhaitais éviter les annulations de commande de notre fait, sachant qu'aucun client n'a décommandé. Beaucoup de nos composants venant d'Italie, et aussi d'Allemagne pour l'électronique, j'avais constitué des stocks importants avant de risquer d'en manquer. Les livraisons de pulvérisateurs accusent parfois un peu de retard mais sans trop nous pénaliser. Même si nos sept commerciaux sont confinés, on a vendu quelques machines depuis le début de la crise mais l'activité se calme actuellement, les commerciaux des concessionnaires étant eux-mêmes confinés. A ce stade, je n'ai pas d'inquiétude particulière pour notre entreprise mais je m'interroge sur l'état de la conjoncture à la rentrée de septembre. Les salons feront office de baromètre ».

Buchet : "la trésorerie, mon anti-stress"

« Celle-là, je ne l'ai pas vue venir », témoigne Philippe Buchet, gérant de l'entreprise éponyme (1,3 millions de chiffre d'affaires, 10 salariés), fabriquant des épandeurs de précision (certifiés Eco-Epandage) et des abris mobiles pour animaux. « Celle-là » c'est la crise du coronavirus. L'origine de l'entreprise remonte à 1885. A sa tête depuis 1995, Philippe Buchet avait affronté auparavant la crise de la vache folle, puis la crise financière de 2008. « La première s'est produite alors que je finissais de construire un bâtiment et la seconde alors que je j'inaugurais un atelier de grenaillage », poursuit le constructeur.

« Dans les faits, je me préparais à une autre crise et le meilleur moyen d'y parer selon moi reste la trésorerie, mon véritable anti-stress. La première semaine du confinement, on a tourné à trois salariés, ce qui nous a permis de mettre en place les règles de sécurité et de convaincre les salariés de revenir à leur poste, ce qu'ils ont accepté. C'est une grosse responsabilité car on ne peut évidemment jamais exclure un risque de contamination. Côté approvisionnements, j'ai pour habitude de travailler avec du stock en amont et comme je fabrique sur commande, je n'ai pas de stocks en sortie d'usine. Pour le moment, j'ai des commandes d'avance. S'agissant des abris pour animaux, la vente s'opère par le biais de mon site internet. Pour les épandeurs, je travaille avec des concessionnaires et aussi en direct, notamment avec les Cuma. Sauf qu'en ce moment, pas de réunion, donc pas de décision. Cette crise, nous n'en sommes qu'au début. Toute la question est de savoir quelle sera son incidence sur les agriculteurs dans les mois à venir. Si le moral n'y est pas, les commandes ne suivront pas, même si les épandeurs sont des matériels sensibles à l'usure, contrairement aux remorques ».

Elatec : "des solutions au manque de main d'œuvre"

Basée à Tournecoupe (Gers), Elatec (0,4 millions € de chiffre d'affaires, 6 salariés), fabrique depuis 2011 des assistants et tracteurs électriques pour le maraichage et les plantes à parfum aromatiques et médicinales. Avec un pied dans la robotique, ses chariots d'assistance au travail et à la récolte ménagent la pénibilité et améliorent la productivité, avec un retour sur investissement flatteur et un pied dans la robotique. Sauf que... « On a cessé la production le 23 mars et on est toujours à l'arrêt », confie Emmanuel Labriffe, gérant de l'entreprise.

« On a cumulé des difficultés à la fois en matière d'approvisionnement en pièces et de livraison de machines finies. Mais le gros point noir reste notre process de fabrication qui peut voir deux ou trois personnes évoluer en même temps sur une surface de 2 m2, incompatible avec le respect des recommandations sanitaires. Du coup, les salariés ont fait valoir leur droit de retrait. Et pour redémarrer l'activité, je dois compter sur tous mes salariés sous peine d'être bloqué dans la fabrication. Dans le même temps, j'ai des clients qui ont retardé voire annulé leur commande. Je pense notamment à un producteur de cresson qui a vu son chiffre d'affaire s'effondrer de 50%. Tous les maraichers ne profitent pas de l'élan en faveur des achats de proximité. A cette heure-ci, le téléphone ne sonne plus. J'ai le sentiment que les agriculteurs se sont mis en veille côté investissement et je redoute que les investissements de fin d'année, impulsés par de bons résultats, ne soient pas au rendez-vous. Si je ne suis pas trop inquiet pour l'entreprise, peu endettée, on risque de vivoter quelque temps. Un petit espoir : le blocage aux frontières des travailleurs saisonniers pourrait faire le jeu de nos solutions ».