Désherbage alternatif : du combinatoire encore aléatoire

La maîtrise des adventices en cultures spécialisées passe(ra) par la mobilisation de multiples leviers mécaniques, agronomiques, techniques. Le biocontrôle s’invite aussi. La transition vers le durable va se faire... dans la durée.

A la fin du siècle dernier, pour désherber les vignes, on disposait d'une panoplie de produits racinaires et foliaires permettant, dans le cadre de savants programmes, de maîtriser les mauvaises herbes. Ces programmes étaient si efficaces que ces pratiques étaient assimilées à de la  « non culture ». Vingt ans plus tard, les diuron, simazine et autre paraquat ont disparu du paysage, en attendant le retrait du glyphosate. Les adventices sont toujours là. Et si la tolérance à leur égard a un peu évolué, leur nuisibilité reste entière. « En vigne, la concurrence exercée pour l'eau et l'azote est proportionnelle à la surface enherbée », explique Christophe Gaviglio, ingénieur à l'IFV. « Quand vous passez d'une couverture du sol de 60% à 100%, vous perdez entre 30% et 40% du rendement ». « En arboriculture, le constat est le même », indique Muriel Millan, chef de projet au CTIFL. « Il va falloir passer d'une solution simple et efficace, qu'était le glyphosate, à une combinaison de solutions dans le temps ».

Techniques combinatoires

L'entretien mécanique est souvent la première piste explorée en alternative. « C'est une solution chronophage et coûteuse », poursuit l'ingénieure, et qui n'est pas dépourvue de risques pour le système racinaire jusque-là préservé ». En vigne, les densités de plantation amplifient la problématique du coût et le goulot d'étranglement en temps. « En dépit des aides à l'investissement, la charge financière reste importante, sans compter que la technique exige de bons chauffeurs, qui se font rares », explique Christophe Gaviglio. « Il faut compter entre 12 et 15 hectares par ensemble tracteur-chauffeur pour maitriser l'enherbement durant la saison. Au-delà, cela signifie faire des arbitrages entre désherbage et protection. Or c'est cette dernière qui prime. Il est fondamental de ne pas se laisser dépasser par la pousse des mauvaises herbes, car quelles que soient les solutions, mécaniques, thermiques voire électriques, il est toujours plus aisé de maîtriser des adventices jeunes ».

Un constat que ne dément pas Nicolas Fillot, responsable marchés vigne, arboriculture et maraichage chez Belchim, qui dispose avec Beloukha d'une des rares solutions herbicides en biocontrôle, à base d'acide pélargonique extrait de graines de colza et de tournesol. « Sélectif des plantes ligneuses, le produit est efficace sur les jeunes adventices, dont il détruit la cuticule avec un effet immédiat », explique-t-il. « Mais il est efficace au-delà d'une température de 15°C pour engendrer la déshydratation des plantules. Il est sans effet sur les levées à venir. Ce n'est donc pas une solution universelle. Il s'inscrit dans une démarche combinatoire, avec des objectifs de gestion et non d'éradication ».

Micro-organismes et insectes phytophages

En l'absence de solution miracle, telle que le glyphosate peut apparaître rétrospectivement, la combinaison de techniques constitue la seule parade pour juguler les stocks semenciers et le développement des mauvaises herbes. L'association française des entreprises de produits de biocontrôle (IBMA) en donne une autre illustration. « Outre les substances naturelles, nous savons qu'il existe des micro-organismes capables de détruire spécifiquement certaines mauvaises herbes », déclare Antoine Meyer, président d'IBMA France. « Alliés à des techniques de reconnaissance optique, les micro-organismes constituent une voie d'avenir ». En matière de lutte biologique, les insectes sont aussi sur le rang. « Certains insectes phytophages sont susceptibles de se nourrir de graines, de feuilles, de tiges ou encore de racines », déclare René Sforza, entomologiste à l'European biological control laboratory (voir encadré). « En Grande-Bretagne, on a découvert un psylle s'attaquant à la renouée du Japon, au Portugal une petite guêpe générant des gales sur des acacias invasifs, en Italie une chrysomèle défoliant l'ambroisie ».

Insuffisances publiques

Concernant l'ambroisie, plante invasive menaçant la santé publique, il faudra attendre que la chrysomèle italienne daigne prendre l'autoroute, « une des principales voies de propagation des insectes », explique le chercheur. « La lutte biologique est une réalité depuis 140 ans dans certains pays, contre 15 ans seulement en France. Il existe plus de 500 cas concrets de lutte biologique dans le monde sans que l'on n'ait jamais mis en évidence d'effets non intentionnels ». L'IBMA pousse les pouvoirs publics à accélérer sur l'innovation. « En France, on a la chance d'avoir une définition du biocontrôle, ce qui n'est pas le cas au niveau de l'Union européenne », explique Antoine Meyer. « Or, la mise sur le marché d'une substance naturelle ou d'un micro-organisme requiert une homologation européenne. Nous poussons les pouvoirs publics à faire évoluer la législation européenne pour amplifier la transition. Aujourd'hui, les centres de recherche en biocontrôle, à quelques exceptions près, ne travaillent pas pour notre agriculture, mais pour les pays qui nous devancent au plan international en matière d'agriculture, ciblant le blé extensif du Kazakhstan, le maïs OGM américain, les sojas argentins et brésiliens. En France, une pétition vient de sortir pour bannie les pesticides d'ici à 15 ans. 15 ans, c'est la durée minimale requise pour trouver des solutions combinatoires tous ensemble. Il faut accélérer ».

De la non culture à la haute culture

En attendant une contribution plus marquée du biocontrôle à la transition, d'autres solutions s'esquissent, tel le désherbage électrique. « Les essais sont prometteurs mais il est encore prématuré d'annoncer des résultats », souligne Christophe Gaviglio. Les ingénieurs scrutent notamment le bilan énergétique, lequel grève l'intérêt des solutions thermiques à base de gaz, d'eau chaude ou de mousse. En arboriculture, les paillages, mulchs et autres bâches tissées sont explorés. Et puis il y a les couverts végétaux, parés de très nombreuses vertus. Jugez plutôt : structuration du sol par la colonisation racinaire, préservation de la vie biologique des sols, prévention de l'érosion, refuge de biodiversité, diminution des risques lessivage des éléments fertilisants, limitation de l'évapotranspiration, séquestration de carbone, enrichissement en matière organique, contribution à la fertilisation... Sauf que l'obtention des bénéfices obéit à un exercice d'équilibriste face aux menaces de concurrence pour l'eau et l'azote ou encore face aux risques de favoriser tel ravageur ou telle maladie. Tout le contraire de la non culture...