Un vignoble « crash test » pour relever le défi climatique

La coopérative des Vignerons de Buzet (Lot-et-Garonne) implante un vignoble expérimental de 17 ha visant à appréhender toutes les menaces pesant sur la vigne. Charge à l’écosystème d’assurer une production profitable, préalable à un transfert des acquis auprès des adhérents.

Zéro engrais chimique, zéro produit CMR (cancérigène, mutagène, reprotoxique), zéro herbicide résiduaire, zéro insecticide toxique à l'égard des abeilles : dans le Lot-et-Garonne, les Vignerons de Buzet (184 adhérents, 2.000 ha dont 562 ha en HVE niveau 3) ont adopté au cours des 15 ans passés plusieurs résolutions destinées à ancrer leurs pratiques dans la durabilité. Ils ont décidé de pousser le sacrifice encore plus loin, sur un vignoble expérimental baptisé « new age ». Les 41.500 pieds de vignes qui viennent d'être plantés sur une parcelle de 17 ha vont devoir faire sans phytos (même pas ceux autorisés en AB), sans engrais (pas même le marc de raisin) et sans eau, c'est à dire sans le concours de l'irrigation. Du « new age » qui confine au « crash test », pour rester dans les anglicismes.

« Grandeur nature »

Ne rien s'interdire, pousser la vigne et l'écosystème dans ses derniers retranchements : telle est la philosophie du projet. « Aujourd'hui, les expériences qui sont menées ici ou là pour relever les défis climatiques ou environnementaux sont souvent mono-factorielles », indique Carine Magot, responsable du service vignes à la coopérative. « On jauge isolément les cépages, la gestion du sol, ou encore les modes de conduite. Notre idée, c'est de faire les choses en grandeur nature. Notre vignoble va concentrer un maximum de paramètres au sein d'un écosystème, dont on va tester la résilience. Ce cahier des charges constitue une ligne directrice. Nous l'adapterons en fonction des résultats enregistrés car notre objectif est aussi de produire du raisin ».

1 ha sur 3 non productif

Propriété de la coopérative, la parcelle jusque-là en friche était vouée à être replantée. La cave a consenti un surinvestissement de 100.000 € pour explorer tout le champ des possibles, ce qui se traduit par une vingtaine de modalités, d'une surface unitaire de 50 ares minimum : porte-greffe et clones variés, cépages résistants au mildiou et à l'oïdium, cépages exogènes adaptés au changement climatique, taille rase mécanique, mycorhize, couverts végétaux, bois raméal fragmenté etc. Sans oublier les haies, les arbres (agroforesterie) et les zones humides. Ces espaces non productifs, mais porteurs d'externalités positives, couvrent un total de 5,5 ha, soit quasiment le tiers de la parcelle. « Nous souhaitons jauger l'incidence des interactions entre la vigne et les autres végétaux, au sein d'un écosystème complexe », poursuit la responsable. « Plus on favorisera la biodiversité, les interactions et les connexions dans le système, plus ça fonctionnera. C'est en tout cas notre conviction ».

Les couverts végétaux portent à eux seuls des enjeux cruciaux puisqu'ils doivent ménager l'alimentation minérale et hydrique de la vigne. « Nos premiers retours d'expériences en matière de couverts végétaux nous ont permis de limiter les apports d'engrais », indique Carine Magot. « Nous souhaitons aller plus loin en testant l'autofertilité. S'agissant de l'eau, nous avons débattu d'une modalité irrigation, que nous avons finalement écartée. Dans un environnement de plus en plus contraint vis à vis de la ressource en eau, nous pensons que la vigne fera les frais d'éventuels arbitrages futurs ».

Engagement et partage

Outre l'économie et l'écologie, le vignoble « new age » revêt aussi une dimension sociale, visant à alléger les contraintes du travail à la vigne, du point de vue de la pénibilité et de la productivité. Il a bien entendu était pensé et élaboré collégialement au sein des instances dirigeantes de la cave coopérative. « Le changement climatique est une des préoccupations majeures de nos adhérents », poursuit Carine Magot. « Sur une seule génération, chacun réalise que les vendanges sont de plus en plus précoces et que le degré de certains cépages s'envole. Les viticulteurs attendent des réponses. Cela passera peut-être par de nouveaux cépages mais pourquoi pas avec nos cépages actuels, moyennant des modes de conduite différents. C'est cela aussi que nous voulons tester ».

La coopérative entend partager ses résultats bien au-delà de son aire d'appellation et ne désespère pas, en retour, de recevoir quelques soutiens financiers, car en sus de la mise de départ, le suivi et l'analyse des résultats vont bien entendu engendrer des charges. Son initiative a d'ores-et-déjà reçu le soutien de la région Nouvelle-Aquitaine dans le cadre du programme VitiREV. Et à l'horizon 2022, les premières cuvées devraient aussi faire rentrer les premiers subsides.