Voyage au centre de la bouse de vache

La bouse de vache est un écosystème fascinant. Elle intéresse depuis longtemps les entomologistes, scientifiques spécialisés dans l’étude des insectes car, avant de retourner à la terre et d’enrichir la prairie, une longue épopée l’attend.

«Moins de 3,6 secondes après l’émission d’une bouse, les insectes arrivent », annonce Marc Giraud, auteur d’un article dans le journal Insectes n° 149. Une vache émet en moyenne 12 bouses par jour qui vont être très rapidement prises en charge par les coprophages, nom savant pour désigner les insectes mangeurs d’excréments. Là commence une lutte sans pitié pour pouvoir profiter au maximum de cette apport de nourriture tombée du ciel, ou presque ! « Si la bouse de vache est aussi attractive pour les insectes, c’est parce qu’elle contient beaucoup d’eau, et jusqu’à 80 % de matière organique assimilable. » Ce que la vache n’a pas pu digérer, comme la lignine, fera leur délice. Les premiers insectes à « abousir » sont les mouches, qui reconnaissent l’emplacement stratégique à l’odeur, puis les coléoptères comme le bousier. « Tous s’attaquent à la bouse quand elle est encore fraîche, car il faut exploiter la provende avant qu’elle ne sèche. Dans une prairie méditerranéenne, par exemple, une bouse exposée au soleil perd son pouvoir attractif en 36 heures. »

 

Un lieu de rendez-vous incontournable

 

Avec le temps, la bouse se transforme en une galette à trois niveaux: la croûte sèche qui l’enveloppe, la zone intermédiaire et la zone profonde, riche en eau et donc recherchée par les larves. C’est là que se joue une bataille pour la vie à la recherche des endroits restés humides. Une trentaine de Diptères, insectes possédant deux paires d’ailes, comme la fameuse mouche à merde – pardon! la Scatophage du fumier – fréquentent ce lieu de rendez-vous incontournable qu’est la bouse. Qu’elle soit asiatique, européenne ou nord-américaine, la Scatophage du fumier utilise la bouse comme lieu de rencontre, maternité et gardemanger. « Les mâles, reconnaissables à leur belle fourrure jaune miel, arrivent en principe une heure avant les femelles. Un mâle peut s’accaparer une bouse contre ses congénères. Lorsqu’il trouve une femelle, il la chevauche avec rudesse et se fait alors souvent attaquer par d’autres mâles désireux de s’accoupler. Le plus fort joue les gardes du corps de sa conquête contre les rivaux. Il arrive que ces mouches grouillent sur les bouses tout à leur excitation amoureuse. » Après un flirt rapide et efficace, madame Scatophage pond ses oeufs; oeufs qui ont la particularité de présenter des protubérances latérales leur permettant de s’enfoncer mécaniquement dans la bouse, preuve d’une longue adaptation au substrat. Les asticots comme leur parents sont carnivores et se délectent des autres larves présentes sur le site.

Mouches, scarabées et compagnie

Nous passerons rapidement sur la Mésembrine de midi que l’on voit souvent se chauffer au soleil – d’où son nom – ou les Sepsidés, minuscules mouches ressemblant à des fourmis volantes qui forment parfois des essaims de centaines de milliers d’individus, pour nous concentrer sur les coléoptères. « Sphaeridium scarabaeoides nage littéralement dans la bouse fraîche, sortant et entrant à vive allure, rarement en repos. C’est lui qui perce les dizaines de trous que l’on observe sur les galettes de bouse séchées. » En France, ce sont plus de 130 espèces de bousiers qui travaillent pour les éleveurs en recyclant la matière. Le plus connu est le Scarabée sacré d’Égypte qui roule sa boule de bouse séchée avec l’entêtement d’un enfant buté. La ferme intention de notre ami est d’y déposer ses oeufs tout en assurant nourriture et protection à sa future progéniture. La bouse attire aussi des papillons, des abeilles et même des escargots comme le Zonite d’Algérie, escargot méditerranéen, surnommé à juste titre mange-merde. Dans cet écosystème qu’est la bouse, il faut aussi chercher les parasites comme les acariens – chacun sa taille ! – et les prédateurs que sont d’autres coléoptères mais aussi oiseaux, blaireaux, marmottes et même la taupe qui ne dédaigne pas un petit bousier de temps en temps lorsque ses galeries passent sous la bouse.

source : revue Insectes n° 149

La fertilité des prairies australiennes sauvée par des bousiers

Même si le sujet prête à rire, « des Américains ont estimé les bénéfices rapportés par l’action des insectes à presque 47 milliards d’euros chaque année ». Effectivement, ils sont des maillons indispensables de toutes chaînes alimentaires. « Sous l’action des coprophages, une bouse met en moyenne 12 mois pour se dégrader. Mais si on la met sous cloche pendant le premier mois après son dépôt, elle mettra entre 36 et 48 mois ! » La preuve de leur extrême utilité a été faite en Australie lors de l’introduction des premiers bovins à la fin du 18e siècle. Les bousiers autochtones ne recyclaient que les crottes de marsupiaux, suite à une adaptation millénaire. « Résultat : de 350 à 450 millions de bouses s’amoncelaient dans les prés, écrasant les herbes et stérilisant le milieu. Les autorités australiennes du CSIRO (Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation) estimèrent qu’un million d’hectares de pâturage étaient perdus annuellement. Dans les années 1960, et pendant 15 ans, des scientifiques importèrent des bousiers africains et européens, experts en bouse de vache. Malgré quelques difficultés d’adaptation, ces insectes rétablirent enfin un équilibre et sauvèrent les prairies australiennes. Moralité : sans ces bestioles méconnues – et sans les entomologistes – le monde serait sacrément dans la merde ! ».