Aides bio : histoire d’un marasme

Le retard de versement des aides bio par l’Etat français aux agriculteurs en conversion a placé ces derniers dans des situations économiquement difficiles. Les paiements se régularisent petit à petit mais certains attendent toujours leurs aides.

Les retards de versement des aides bio, accumulés depuis 2015, se résorbent petit à petit. Pas aussi vite cependant qu'annoncé par le président Emmanuel Macron, qui avait affirmé en début d'année 2019 qu'« au printemps, ce sera soldé ». Selon les derniers chiffres disponibles, qui datent d'un peu plus d'un mois, les versements de 2015 et 2016 seraient quasiment soldés, mais il resterait encore 7% de dossiers déposés en 2017 et 30% des dossiers 2018 qui seraient toujours en attente de paiement. 

Officiellement, ce retard est la conséquence de gros dysfonctionnements administratifs et informatiques. Officieusement, « les choses n'ont pas été suffisamment anticipées par le ministère », regrette Guillaume Riou, président de la Fédération nationale des agriculteurs biologiques (Fnab). Aux problèmes informatiques réels sont venus s'ajouter un manque d'anticipation ainsi que la délégation par l'Etat de l'autorité de gestion des aides bio aux Régions. « La mise en œuvre des aides bio se fait à trois niveaux : l'Etat pour l'instruction technique, les Régions pour le pouvoir décisionnel et l'ASP (Agence gouvernementale des services de paiement) pour la mise en œuvre des paiements », explique Guillaume Riou, qui attend de la prochaine PAC une meilleure coordination des services de l'Etat.

Clarification nécessaire

Une première étape dans la simplification a d'ores et déjà été annoncée par le Premier ministre le 1er octobre 2019 lors du congrès des Régions de France. Afin de « clarifier les responsabilités », Edouard Philippe a annoncé que les aides dites « surfaciques » (ICHN, bio et la plupart des MAEC) reviendraient dans le giron de l'Etat. Les Régions, de leur côté, garderont la gestion des aides non corrélées aux surfaces (installation, investissement, MAEC non surfaciques). Un choix qui a été fait « pour assurer une unité de gestion, réduire les délais de paiement et sécuriser le calendrier de versement », a indiqué le Premier ministre. « J'ai cru comprendre que les professionnels de l'agriculture attendaient cette clarification », a-t-il ajouté. 

Et en effet, car les retards de versement des aides bio ont mis les producteurs dans des situations économiquement difficiles, voire intenables. C'est le cas de Jean-Pierre Bara, agriculteur à Préseau (Nord), qui a convertit en bio une partie de son exploitation en 2018 et qui attend toujours ses aides. Problème supplémentaire : étant en redressement judiciaire, il est dans l'impossibilité de contracter des prêts bancaires, ce que d'autres agriculteurs ont pu faire pour assurer leurs obligations de paiement. Et depuis 2016, « les fins d'année sont très tendues », témoigne-t-il. Pas de trésorerie, des versements d'aides qui ne tombent pas et le plan de redressement à rembourser. « J'ai l'impression de revivre l'année 2010 », lâche l'agriculteur qui s'était retrouvé cette année-là dans la spirale de l'endettement, jusqu'au redressement judiciaire. Après la décision d'arrêter l'élevage laitier, le passage au bio s'est imposé à lui comme « une porte de sortie », une façon de « vivre décemment de (son) métier ». C'était sans compter sur les problèmes informatiques de l'administration française. « On était payé plus vite quand on faisait les déclarations sur papier... », raille-t-il, mais d'un rire jaune.

Aux grands maux, les grands remèdes 

Face à ce type de situation, certains agriculteurs ont décidé de se lancer dans des procédures judiciaires. Ainsi en février dernier, Guillaume Riou et deux autres agriculteurs bio ont lancé des recours administratifs enjoignant l'Etat à payer sa créance dans les plus brefs délais. « L'Etat a payé dans les trois semaines », fait savoir Guillaume Riou, qui a reçu les 29 000 euros qu'il attendait depuis 2016. « En tout, nous avons accompagné cinq agriculteurs dans leurs procédures judiciaires, indique Félix Lepers, chargé de mission réglementation à la Fnab. Ils ont tous été payés à la suite de leur procédure en référé provision et quatre d'entre eux ont décidé de poursuivre en demandant des dommages et intérêts. Les dossiers sont actuellement en cours ». Mais si saisir la justice peut s'avérer payant, cela demande du temps et de l'argent. 

Toujours est-il que ces « coups des pression » mis sur l'Etat aux travers des procédures judiciaires « ont certainement eu un petit effet politique » sur l'accélération des paiements, estime Félix Lepers. A l'heure actuelle, les vagues de paiement arrivent tous les quinze jours et le ministère affirme que les versements pour les dossiers 2019 devraient se faire selon le calendrier prévu. Une annonce bienvenue dans un contexte absurde, où le gouvernement ne cesse de promouvoir l'Agriculture biologique et la transition agro-écologique de la France et où les agriculteurs qui se convertissent se retrouvent pénalisés par l'administration de ce même gouvernement.