Plus de stockage ou plus d'économies: l'eau au coeur des débats sur l'avenir de l'agriculture

Développement de l'irrigation et des stockages ou nécessité d'économiser une ressource qui se raréfie? Le débat sur l'eau fait rage chez les agriculteurs dont l'activité est frappée par le réchauffement climatique et la multiplication des périodes de sécheresse.

"Il faut redonner de l'eau à l'agriculture", réclame le secrétaire général de la FNSEA Jérôme Despey, qui doit renouveler cette demande jeudi auprès du ministre de l'Agriculture Stéphane Travert en visite à Montpellier. "Sans un partage de l'eau, dans les régions méditerranéennes, des pans entiers de l'agriculture vont disparaître", assure M. Despey, citant la viticulture et les fruits et légumes, frappés en 2017 par sept mois de sécheresse. Pour le responsable syndical, la solution passe par trois pistes: l'extension des réseaux d'irrigation existants, l'utilisation de retenues artificielles comme le lac du Salagou (Hérault) pour les besoins de l'agriculture et la création rapide de nouvelles "retenues collinaires" à travers une "simplification des autorisations", en particulier dans les régions soumises aux épisodes cévenols marqués par de fortes pluies. Mais les réponses prônées par la FNSEA sont loin de convaincre tous les acteurs: "une politique d'adaptation au changement climatique doit être avant tout fondée sur des économies en eau" réalisées par tous les utilisateurs, y compris les agriculteurs, met ainsi en garde Laurent Roy, directeur général de l'agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse. Il suggère par exemple de passer de systèmes d'irrigation gravitaire -distribution de l'eau se faisant entièrement à l'air libre par simple écoulement à la surface du sol- à des systèmes de micro-irrigation qui alimentent la plante au pied, par le sol, selon ses besoins et divisent la consommation au moins par quatre.

"Partager à bon escient"

La politique de gestion d'une ressource vitale à préserver doit se faire après "une concertation entre les utilisateurs", souligne-t-il. Après avoir privilégié les économies d'eau, on peut envisager "éventuellement des projets complémentaires de stockage", dont la construction et la maintenance sont coûteuses, rappelle-t-il, appelant à "combiner le développement de l'offre en eau et une politique de régulation de la demande". Pour le porte-parole de la Confédération paysanne Laurent Pinatel aussi, "avec le réchauffement climatique, (...) le stockage de l'eau est illusoire". Il faut au contraire, selon lui, "partager à bon escient, en partant de la valeur ajoutée", en privilégiant par exemple l'irrigation de fruits et légumes produits pour le marché local ou régional plutôt que des cultures de maïs et de blé qui consomment énormément d'eau et sont ensuite exportées. Une opinion partagée par les organisations de défense de l'environnement et des consommateurs. Ainsi WWF appelle à sortir d'un modèle agricole favorisant les monocultures irriguées qui épuisent les sols et les nappes, en rappelant que l'agriculture représente 70% de la consommation en eau dans le monde.  

De son côté, l'UFC-Que Choisir a fait part de sa "très grande déception" après les annonces faites en août par M. Travert et le ministre de l'Environnement Nicolas Hulot concernant la gestion de la ressource en eau. "J'ai la volonté d'aider l'agriculture à anticiper et à atténuer les effets du changement climatique", avait alors déclaré M. Travert, souhaitant "une agriculture moins gourmande en eau" mais aussi "une optimisation de la ressource via l'utilisation des pluies hivernales pour protéger les ressources en été". "On assiste à une nouvelle et inadmissible fuite en avant avec l'acceptation des réserves d'eau", avait alors réagi l'association de défense des consommateurs. "Plutôt que de s'attaquer vraiment à la responsabilité de l'agriculture et de l'irrigation intensives dans l'état quantitatif et qualitatif de la ressource... en mettant effectivement en application le principe préleveur-pollueur-payeur, une véritable réorientation des aides vers des agricultures moins consommatrices d'eau, le gouvernement semble se caler sur les attentes des irrigants !", a-t-elle assuré, qualifiant les retenues d'eau de petite dimension d'"aberration environnementale et économique".