Soja sans complexe (2/4) : la ruée vers le Nord

Dans le Grand Est, le programme Arpeege étudie le potentiel du soja sur la base d’une cartographie discriminant les facteurs limitants. Mais comme le soja ne fera pas tout, le projet piloté par Terres Inovia et l’Institut de l’élevage aborde également la coopération entre éleveurs et céréaliers autour d’autres sources de protéines.

Au nord de la Loire, le soja est depuis les années 1990 largement présent en Bourgogne Franche-Comté, le second bassin de production après l’Occitanie. Mais sous l’effet du changement climatique, l’oléagineux pourrait explorer de nouveaux territoires septentrionaux tels que la Bretagne, les Pays de la Loire, les Hauts de France ou encore le Grand Est. Dans cette Région justement, le soja est historiquement présent en Alsace, où il couvre bon an mal an 6000 ha, en irrigué. L’oléagineux a-t-il du potentiel en sec dans les ex-Régions Champagne-Ardenne et Lorraine ? C’est tout l’enjeu du programme Arpeege (Autonomie en ressources protéiques et énergétiques des élevages du Grand Est). Il est porté par la Chambre d’agriculture du Grand Est et piloté par Terres Inovia et l’Institut de l’élevage, avec le concours de 24 partenaires, dont certains organismes stockeurs (OS). Il court sur la période 2019-2022 et a bénéficié de fonds européens dans la cadre d’un PEI (Projet européen pour l’innovation).

La modélisation repose sur trois paramètres (risque de récolte tardive, profondeur du sol, satisfaction estivale du besoin en eau) et discrimine le territoire en quatre classes (Source : Terres Inovia)
La modélisation repose sur trois paramètres (risque de récolte tardive, profondeur du sol, satisfaction estivale du besoin en eau) et discrimine le territoire en quatre classes (Source : Terres Inovia)

Une modélisation sur la base de trois facteurs limitants

Pour explorer le potentiel du soja, Terres Inovia a réalisé un travail de modélisation reposant sur des critères pédoclimatiques. « Nous avons retenu trois paramètres que sont le risque de récolte tardive, la profondeur du sol et enfin la satisfaction estivale du besoin en eau, explique Aurore Baillet, ingénieure développement à Terres Inovia et co-pilote du projet. Cette modélisation nous a permis d’établir une cartographie de la faisabilité du soja sur le territoire ».

Aurore Baillet, ingénieure développement à Terres Inovia : « L’idée de la coopération, c’est d’offrir des solutions agronomiques aux céréaliers par l’introduction de nouvelles cultures tout en leur garantissant un débouché auprès des éleveurs »
Aurore Baillet, ingénieure développement à Terres Inovia : « L’idée de la coopération, c’est d’offrir des solutions agronomiques aux céréaliers par l’introduction de nouvelles cultures tout en leur garantissant un débouché auprès des éleveurs »

Selon l’institut technique, moyennant le recours à des variétés 000, le risque de récolte tardive est écarté, en dehors de quelques secteurs comme la moitié Nord des Ardennes, le plateau de Langres (Haute-Marne) ou encore des parcelles en altitude. S’agissant des types de sol, la Champagne crayeuse par exemple est proscrite, le calcaire actif affectant la nodulation. Au final, le territoire est partagé en quatre classes (favorable, possible, aléatoire et déconseillé).  « Dans notre analyse, nous nous sommes attachés à estimer le potentiel de sols profonds sur des périmètres de 6 km2, explique Aurore Baillet. Cette approche macroscopique est destinée à aider les OS à cibler les zones où ils peuvent potentiellement déployer des moyens logiques dédiés au soja. En Champagne, on a ainsi des périmètres avec des taux de sols profonds entre 70% et 90. C’est beaucoup plus diffus et hétérogène en Lorraine ».

La modélisation révèle un potentiel de 354 000 ha à l’échelle du Grand Est, soit 14% des terres arables de la région
La modélisation révèle un potentiel de 354 000 ha à l’échelle du Grand Est, soit 14% des terres arables de la région

Coopération céréaliers-éleveurs

A défaut de coloniser le Grand Est, le soja, non OGM faut-il le préciser, fera assurément partie du paysage dans les années à venir. Le programme Cap Protéines va y contribuer, avec notamment un axe génétique travaillant notamment sur la tolérance au stress hydrique. La conduite en bio ouvre aussi des perspectives, le soja bio étant aujourd’hui très majoritairement importé. Dans le cadre d’Arpeege, le lycée agricole de Rethel (Ardennes) mène des expérimentations sur l’incorporation de soja toasté dans les rations.

"L’idée de la coopération, c’est d’offrir des solutions agronomiques aux céréaliers par l’introduction de nouvelles cultures tout en leur garantissant un débouché auprès des éleveurs"

Mais l’oléagineux, qui coche de nombreuses cases (richesse en protéines, composition en acide aminés, profil agroécologique) n’est qu’un levier parmi d’autres dans la course à l’autonomie protéique. Une dimension prise en compte dans le programme Arpeege qui s’attache par ailleurs à établir des coopérations entre céréaliers et éleveurs, les premiers pouvant intégrer dans leur assolement des cultures profitables aux seconds. On pense bien évidemment à la luzerne et aux prairies temporaires. « L’idée de la coopération, c’est d’offrir des solutions agronomiques aux céréaliers par l’introduction de nouvelles cultures tout en leur garantissant un débouché auprès des éleveurs », indique Aurore Baillet. Dans le cadre d’Arpeege, des contrats-types ont été élaborés de façon à encadrer la relation entre céréaliers et éleveurs. Le projet pourrait déboucher sur la création d’un plate-forme assurant la mise en relation entre céréaliers et éleveurs.

Tous les articles de la série :

Soja sans complexe (1/4) : l’Europe potentiellement autonome, selon l’Inrae

Soja sans complexe (2/4) : la ruée vers le Nord

Soja sans complexe (3/4) : 100% soja, 100 % alimentaire, 100% exporté, une « soy touch » à la sauce toulousaine

Soja sans complexe (4/4) : 26 q/ha en sec, en bio et sans binage dans la Meuse