2022, un millésime plongé dans l’inconnu

Alors que partout en France les vendanges ont été avancées à une date historique, sur les hauteurs de Vieillevie, la vigne de la Vidalie peine à finaliser sa maturation...

Même Olivier de Serres y aurait perdu son latin de père de l’agronomie moderne. Si l’on savait la vallée du Lot et ses terrasses ensoleillées dotées d’un micro-climat, les conditions climatiques de cette année 2022, celle de tous les records, déjouent les certitudes et prévisions. Ainsi sur les hauteurs de Vieillevie, où la vigne de la famille Broha n’a pas reçu plus de 30 mm de pluie depuis fin juin mais a subi les assauts brûlants du thermomètre (jusqu’à plus de 40°C), on était prêt à parier jusqu’à peu qu’ici comme ailleurs la date des vendanges serait des plus précoces, quasi historique. “Vous seriez venue le 15 août, je vous aurais dit qu’au 10 septembre, tout serait vendangé, aujourd’hui je n’en sais rien, peut-être qu’on commencera le 20 septembre...”, doute Serge Broha, salarié de l’exploitation sur laquelle sa femme Isabelle est installée depuis 30 ans en productions caprine, bovine et viticole.
Maturité figée
En effet, si ces dernières années et décennies ont vu le degré des raisins grimper progressivement, cet été 2022, les grappes semblent peiner à finir leur maturité, en particulier les blancs, les premiers d’ordinaires à rejoindre les paniers des vendangeurs, dix jours avant les rouges. “C’est très étonnant, la tige est bien sombre, les pépins ont bien noirci mais ce n’est pas mûr, ça ne dépasse pas 10,5° et surtout, il manque de pulpe”, décrit le vigneron en ouvrant un grain de chenin, maigrichon et dont la peau est par ailleurs plus épaisse qu’à l’ordinaire. “Ces pieds sont comme bloqués, ça n’avance plus. C’est un constat partagé dans l’appellation Entraygues-Le Fel. S’il faisait 10 mm peut-être que ça repartirait”, poursuit Serge Broha, scrutant désespérément le ciel orageux, mais stérile, et montrant plus loin des pieds de vigne échaudés, défoliés et aux grappes brûlées. De quoi interroger également sur le rendement des 1,80 hectares de vigne de la Ferme de la Vidalie dont la production en “année normale” s’établit autour de 22 hectolitres, soit l’équivalent de 10 000 bouteilles. Quoi qu’il arrive, le couple d’éleveurs-viticulteurs sait que ce millésime 2022 ne pourra être pire que la récolte de 2021, amputée de 80 % en raison des gels tardifs d’avril(1), un avril noir pour la vigne et l’arboriculture. D’autant plus noir que malgré les annonces, aucune aide nationale, régionale ni départementale n’est venue à ce jour alléger cette perte inédite de récoltes.
Récolte incertaine après une vendange 2021 noire
“Ce printemps, on a gelé à un jour près le même jour que l’année dernière, mais on était sur un cycle végétatif normal, la vigne n’avait pas débourré, il n’y a donc pas eu de casse”, relate le viticulteur. 2022 s’annonçait même comme un grand cru avec “une bonne pousse, de belles sorties de grappes, l’absence de maladies,...” Du moins jusque début août et le cocktail délétère sécheresse-canicule. “Ce qui a nous quand même sauvés, ce sont les 100 mm de pluie du
25 juin”, atteste l’agriculteur qui voit cette année encore tout l’intérêt d’une production diversifiée pour tamponner les effets des crises et aléas impactant à tour de rôle l’une ou l’autre de l’activité de la Ferme de la Vidalie. “Clairement ce qui nous a sauvés l’an dernier, ce sont les chèvres. Certes, cumuler trois productions c’est contraignant, on trait les chèvres 365 jours sur 365 et on transforme leur lait tous les jours notamment pour éviter un pic de lactation en mai, mais au final, les trois productions se complémentent et on ne crache pas dans la soupe.”
Chèvres, vins, vaches...
À quelques années de faire valoir ses droits à la retraite, Serge Broha confie qu’il ne regrettera pas cette astreinte liée à l’élevage caprin, mais lui et son épouse restent attachés au travail de la vigne, héritée des parents d’Isabelle et développée depuis. Des vins, rouges majoritairement, “légers, fruités, avec des notes de fruits rouges et de cassis”, dépeint le viticulteur qui invite les Cantaliens et voisins aveyronnais à redécouvrir une appellation à la réputation jadis peu flatteuse, “mais qui a beaucoup évolué”, fait-il valoir (lire par ailleurs). Le plus simple pour s’en assurer, est de venir déguster les vins de la famille Broha au caveau de la Vidalie ou lors de la prochaine fête des Palhas à Massiac où le couple tiendra un stand. À déguster avec modération bien sûr.

(1) Taux d’éthanol du vin, lié au taux de sucre dans le raisin.
(2) Le vignoble de Vieillevie avait connu pareil épisode, de moindre ampleur cependant aux printemps 2017 et 2019. “Heureusement l’an dernier, on avait une année de stocks d’avance, on n’a pas été en rupture”, précise Serge Broha.