Accord UE/Mercosur : la France opposée au projet en raison de la déforestation

La France renouvelle son opposition à l'accord commercial entre l'Union européenne et les pays du Mercosur sous sa forme actuelle mais compte se saisir du projet pour faire valoir de nouvelles exigences environnementales, notamment en matière de déforestation.

"La déforestation met en péril la biodiversité et dérègle le climat. Le rapport remis par Stefan Ambec conforte la position de la France de s'opposer au projet d'accord UE-Mercosur, en l'état", a souligné sur Twitter le Premier ministre Jean Castex vendredi 18 septembre, juste après avoir reçu un document d'évaluation très critique sur les risques environnementaux induits par l'accord entre l'UE et les quatre pays d'Amérique du Sud (Brésil, Argentine, Uruguay et Paraguay).  "Le projet d'accord n'a aucune disposition permettant de discipliner les pratiques des pays du Mercosur en matière de lutte contre la déforestation. Ça, c'est le manque majeur de cet accord", souligne-t-on au sein de l'exécutif.

Emmanuel Macron l'an passé avait déjà fait connaître son opposition au projet actuel. Le gouvernement regrette "le manque d'ambition" en matière d'environnement, alors que les écologistes demandent son abandon pur et simple, à l'image du collectif Stop-Ceta, qui regroupe de nombreuses ONG de défense de l'environnement, des syndicats et plusieurs partis politiques.

Côté éleveurs, Bruno Dufayet, président de la Fédération nationale bovine (FNB), ne se sent "pas convaincu" par le tweet du Premier ministre, qu'il juge "trop flou". "Il laisse entendre que si le Brésil revenait dans les accords de Paris, la France pourrait signer l'accord" a-t-il dit à l'AFP, en estimant que l'accord n'est "pas acceptable en l'état pour la protection de l'alimentation des européens et de leur mode de production".

Des enjeux agricoles majeurs

Le gouvernement suivrait ainsi les conclusions du rapport de 184 pages commandé il y a un an par le prédécesseur de M. Castex, Edouard Philippe. Selon ce document, l'accord est une "occasion manquée pour l'UE d'utiliser son pouvoir de négociation pour obtenir des garanties solides répondant aux attentes environnementales, sanitaires et plus généralement sociétales de ses concitoyens".

Ce texte, "d'une très grande qualité" selon le gouvernement, évalue notamment l'impact de la déforestation en Amazonie résultant d'une hausse de la production de viande bovine. Dans la plus grande forêt tropicale du monde, où les incendies ont déjà progressé de 28% en un an, la déforestation rendrait le coût environnemental de l'accord trop élevé par rapport à ses bénéfices économiques, selon la commission Ambec.

"Bien sûr, les enjeux de la déforestation mis en avant dans le rapport, sont majeurs, mais ils ne doivent pas occulter les enjeux spécifiques à l'agriculture que sont les problématiques sanitaires, d'émission de gaz à effet de serre ou de traçabilité, ont réagi la FNSEA et les JA dans un communiqué. Si la performance économique des systèmes agricoles d'Amérique du Sud est réelle, ces derniers sont néanmoins considérablement moins durables que ceux de l'agriculture française !"

Sur le plan commercial, la mise en œuvre de l'accord aura des effets contrastés, entre les gagnants  - essentiellement l'industrie (automobile) et les services, ainsi que les vins et fromages - et les perdants - volaille, viande bovine, miel et éthanol (sucre). Mais "on ne veut pas tout stopper, au contraire, on veut battre le fer tant qu'il est chaud", fait valoir une source au sein de l'exécutif, qui compte donc utiliser ce coup d'arrêt comme un nouveau levier.

Paris demande le respect des normes

Le gouvernement français formule ainsi trois "exigences" pour poursuivre les négociations avec ces pays. D'abord, "qu'un accord d'association avec le Mercosur ne puisse en aucun cas entraîner une augmentation de la déforestation". Ensuite, "que les politiques publiques des pays du Mercosur soient pleinement conformes avec leurs engagements au titre de l'Accord de Paris" sur le climat. Et enfin, "que les produits agroalimentaires importés bénéficiant d'un accès préférentiel au marché de l'Union européenne respectent bien, de droit et de fait, les normes sanitaires et environnementales de l'Union européenne", ajoute le gouvernement en assurant qu'un "suivi de ces produits sera effectué".

"Sur ces fondements" et "en lien avec d'autres Etats membres de l'Union européenne", le gouvernement "entend travailler à l'élaboration de propositions concrètes, avant d'envisager toute reprise du processus vers un accord entre l'Union européenne et le Mercosur", souligne-t-il encore.

Signé à l'été 2019, l'accord commercial, qui doit être ratifié par les parlements nationaux, a déjà été rejeté par deux parlements (Autriche, Pays-Bas) sous sa forme actuelle. La chancelière allemande Angela Merkel a, pour la première fois le 21 août, émis de "sérieux doutes" à son sujet, emboîtant le pas au président français Emmanuel Macron qui avait menacé de ne pas ratifier l'accord si le gouvernement brésilien ne prenait pas les mesures nécessaires pour protéger la plus grande forêt tropicale du monde. Et d'autres pays pourraient suivre, alors que des rapports d'évaluation sont attendus aux Pays-Bas ou encore en Suède prochainement.