Agribashing : le réveil paysan a sonné

Les caprices climatiques, les sur-transpositions réglementaires et les accords commerciaux distors sont une chose. Mais ce qui blesse, irrite et révolte, le plus les agriculteurs aujourd'hui, sont les actes qui rentrent dans la catégorie, tristement connue, d’« agribashing ».

Tagages de bâtiments d'élevage, intrusions de nuit comme de jour dans des exploitations, présence physique menaçante dans le champ, allant jusqu'à l'agression verbale – « salaud », « empoisonneur », « tueurs d'enfants » – voire physique. Le moins que l'on puisse dire, c'est que les groupuscules extrémistes « antispécistes » et antiphytos n'ont pas l'air de vouloir réfréner leur jusqu'au-boutisme destructeur. À les écouter, leur cause, forcement juste, vaut toutes les exactions commises. Ainsi, ils n'hésitent plus à partager sur internet la géolocalisation, par filière, des élevages qu'ils considèrent être « intensifs ». Résultat ? Un nouvel incendie criminel s'est produit le 17 septembre. Ce jour-là, trois bâtiments d'élevage de poulets ont été détruits dans l'Orne. Une opération orchestrée en pleine nuit et marquée par les inscriptions « Assassins » et « Camp de la mort » peintes sur les murs encore en proie aux flammes. Après le drame, Emmanuel Prévost, l'éleveur touché, confiait être « anéanti » (source AFP).

 

Escalade des actes malveillants. Mais jusqu'où iront ces violences ? De source syndicale JA, 41 intrusions dans des exploitations ont été recensées depuis le début de l'année 2019. C'est plus du double de l'an dernier. Des chiffres qui pourraient s'avérer en réalité plus importants car bon nombre d'actes malveillants ne sont pas remontés, ni dans les réseaux syndicaux ni aux autorités policières. Les représentants agricoles dénoncent un climat délétère généralisé, alimenté par des discours anxiogènes à répétition diffusés via les canaux médiatiques et réseaux sociaux. Sur une série de sujets, aujourd'hui débattus dans la société – phytos et bien-être animal en première ligne – les agriculteurs se sentent injustement pointés du doigt et constamment mis sous pression. Ils ne comprennent pas que tous leurs efforts entrepris ne soient pas plus reconnus par leurs pairs.

 

Les ZNT : symbole du fossé qui se creuse. S'il fallait ne prendre qu'un sujet de discorde pour tenter de comprendre ces incompréhensions et rendez-vous manqués avec la société, le sujet des ZNT est tout trouvé. Celui-ci cristallise les tensions. À l'imposition arbitraire de zones de non-traitement, les agriculteurs répondent « consultation » – « dialogue » – « cas par cas », afin de trouver des solutions concertées avec les riverains – chaque situation comportant des spécificités propres. S'ils disent comprendre la peur des concitoyens vis-à-vis de certains produits, ils souhaitent, eux aussi, partager leur point de vue et montrer qu'ils ont besoin de travailler pour continuer à exister.

 

Très forte mobilisation. Face à ce sentiment de dénigrement, de rejet et de déconsidération, plus de 10 000 agriculteurs sont sortis de leur ferme le 8 octobre, mobilisés partout en France pour exprimer non seulement leur « ras-le-bol » (cf. p.24-25) mais aussi leur envie de renouer directement le lien avec leurs concitoyens. Cette démonstration de force a reçu le soutien de milliers d'automobilistes et de camionneurs, nombreux à lever les pouces devant les tracteurs et agriculteurs postés sur une centaine d'axes routiers. « Aujourd'hui, c'est le premier coup de semonce et ça va continuer », a prévenu, le même jour, Samuel Vandaele, président des Jeunes agriculteurs. Mis en ordre de marche, le réveil paysan semble bien décidé à reconquérir l'espace public, délaissé selon eux depuis trop longtemps au tout-venant.

La parole aux agris

Alexandre Deneau, 28 ans, JA en grandes cultures.

« Quand on sort notre pulvérisateur, les gens s'arrêtent pour nous photographier et nous faire des doigts d'honneur... Mais ils ne s'arrêtent jamais pour discuter avec nous. Je suis installé depuis 8 ans et pendant longtemps je n'ai pas eu de soucis. Aujourd'hui, j'ai l'impression de gêner la population... »

 Gabriel Beaulieu, 32 ans, président de JA Loire Beauce. Installé en grandes cultures, fruits et asperges.

« Mon exploitation est dans une zone très urbanisée, juste à côté de la métropole orléanaise. Un jour, ça m'a marqué, une personne m'a fait un geste de loin, comme s'il avait un fusil dans les mains et qu'il me tirait dessus. Me faire engueuler je connaissais, mais c'était la première fois que quelqu'un me faisait comprendre que pour lui, j'étais bon à tuer. »

 Morgan Pelletier, 20 ans, JA en grandes cultures.

« Je suis installé depuis un mois, je n'ai pas encore été confronté à l'agribashing, mais je sais que je vais y avoir droit toute ma vie. Autrefois, il y avait plus d'agriculteurs, tout le monde achetait ses produits au marché. Les supermarchés ont cassé le lien social qui existait dans la société ; aujourd'hui, certains font leurs courses sur internet sans même sortir de chez eux... »

 Mathieu Courtemanche, 24 ans, JA en grandes cultures.

« Il y en a ras le bol qu'on critique les agriculteurs tout le temps, qu'on nous traite de pollueurs, d'empoisonneurs, alors qu'on fait très attention. On parle de ZNT, mais il suffit de s'entendre, de discuter, de mettre en place des zones tampons. Il y a des choses à faire mais ça ne doit pas aller que dans un seul sens, les agriculteurs n'ont pas à faire tous les efforts. »

 Thierry, automobiliste bloqué sur le pont.

« Je comprends pourquoi les agriculteurs sont en colère et se mobilisent ! Je les soutiens ! Moi je ne fais mes courses qu'au marché, pour être sûr d'acheter des produits locaux. Il faut soutenir la productivité des agriculteurs et appliquer des tarifs réels dans les grandes surfaces. »

JAMAG - novembre 2019 - Elena Blum et Matias Desvernois