Circuits courts : “reprendre la main sur la facturation de nos produits”

Sécurisation des revenus, lien social, reconnaissance du consommateur : les agriculteurs ayant fait le choix de vendre leur production en direct ne sont pas avares d’arguments pour évoquer les bénéfices des circuits courts. Un mode de commercialisation qui nécessite cependant un accompagnement technique et financier personnalisé.

"Entre mettre son blé à la coopérative et transformer son blé en farine, il y a une différence : la reconnaissance du consommateur". Jean-Marie Lenfant, agriculteur dans l'Eure, a une conviction chevillée au corps : pour les agriculteurs, la vente directe a des vertus à la fois économiques et sociales. "C'est un mode de commercialisation qui permet de rompre la solitude de l'agriculteur et qui sécurise les revenus", explique celui qui est aussi président du réseau Bienvenue à la ferme. Sur son exploitation, il transforme le colza et le tournesol en huile et le blé et le sarrasin en farine, qu'il vend à la ferme. "Nous, agriculteurs, devons arriver à segmenter nos sources de revenus, affirme-t-il. En travaillant à la fois sur le marché mondial, sur le marché régional et en circuits courts. Si on arrive à travailler avec deux de ces marchés là, on est déjà gagnants".

Circuits courts : le terme est posé. Même s'il est souvent associé au terme "local", la notion de circuit court n'intègre pas de dimension géographique. Selon la définition officielle du ministère de l'Agriculture, il s'agit d'un "mode de commercialisation des produits agricoles qui s'exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte, à condition qu'il n'y ait qu'un seul intermédiaire". Ce mode de commercialisation représente 10% des achats alimentaires des français.

Si le terme n'est pas forcément connu du grand public, le concept existe depuis bien longtemps et le marché de plein vent en est l'exemple le plus connu. "J'ai l'habitude de dire : les circuits courts ce n'est pas nouveau, ma grand-mère en faisait déjà sans le savoir", blague Jean-Marie Lenfant. Mais nous sommes au vingt-et-unième siècle, les petits marchés de village disparaissent et les centre-ville se désertifient. A la place, d'autres formes de commercialisation émergent : magasins de producteurs, vente en ligne, drive fermiers, distributeurs automatiques, etc. Des nouvelles formes qui impliquent l'acquisition de nouvelles compétences : il faut gérer à la fois la commercialisation, la communication, la logistique, la relation client, quand ce n'est pas aussi la transformation...

Ces activités demandent aussi un investissement humain parfois important et des besoins financiers nouveaux. "Aller faire un prêt pour un tracteur ou une remorque est relativement facile, parce que c'est un schéma qui est modélisé, indique Jean-Marie Lenfant. Faire un prêt pour une embouteilleuse ou une chaîne de transformation est plus compliqué car il y a moins de recul et les outils sont adaptés à chaque ferme".

Avec 25% de ses clients agriculteurs ayant une activité de vente directe, le Crédit Agricole affirme accompagner les producteurs dans leurs nouveaux besoins. "Nous adaptons notre offre aux besoins des agriculteurs qui veulent se lancer dans les circuits courts, en profitant notamment de notre expérience avec le monde des commerçants, indique Laurence Couppey, conseillère au Crédit Agricole d'Ille-et-Vilaine. Cela implique d'accompagner les besoins nouveaux et spécifiques d'investissement, de gestion de trésorerie, d'assurance, d'encaissement avec différents moyens de paiement, ou encore de communication avec par exemple des aides de financement à taux zéro".

Bienvenue à la ferme et le Crédit Agricole sont d'ailleurs partenaires sur plusieurs événements valorisant les circuits courts, comme la tournée nationale "Mangez fermier", lors de la laquelle les agriculteurs viennent faire découvrir leurs produits dans les grandes villes françaises et "La balade du goût", une opération fermes ouvertes en Ile de France.

Créé il y a plus de trente ans et composé de près de 8000 agriculteurs adhérents, le réseau Bienvenue à la ferme offre un accompagnement et une visibilité nationale aux agriculteurs souhaitant passer aux circuits courts. "Un consommateur sur deux connaît la marque Bienvenue à la ferme", indique Marie-Louise Lara, conseillère à la Chambre d'agriculture de Normandie, qui accompagne les agriculteurs sur les aspects réglementaires, les études de marché, les circuits de commercialisation ou encore les outils de communication.

Être identifié avec le logo Bienvenue à la ferme est également un gage de "crédibilité", estime Anselme Beaudoin, éleveur laitier dans l'Oise, qui s'est lancé dans une démarche de production de fromages à la ferme et de vente en circuit court, une activité qui représente aujourd'hui 85% de son chiffre d'affaires. "En 2008, j'avais deux salariés et un chiffre d'affaires de 150 000 euros, indique-t-il. Actuellement, j'ai dix salariés et je dégage 750 000 euros de chiffre d'affaires".

Avec une dizaine de producteurs, ils ont créé récemment le magasin "Esprit fermier" situé à Glisy, au sud-est d'Amiens. Une belle réussite. "On a deux à trois fois le nombre de clients que l'on pensait avoir, témoigne-t-il. La clientèle est beaucoup moins volatile qu'en grande surface. Les clients sont demandeurs d'une relation avec les agriculteurs et celui qui est venu voir votre ferme, qui a discuté avec vous, il reviendra toujours".

Pour Jean-Marie Lenfant, les circuits courts sont aussi un moyen pour les agriculteurs de reprendre la main sur la facturation de leur production. "Aujourd'hui, nous sommes dans un système où c'est la coopérative qui détermine un prix en fonction du cours mondial et qui facture l'agriculteur", regrette-t-il. "On peut choisir de changer son mode de production en allant chercher des terres chez le voisin, mais on peut aussi réfléchir à se diversifier avec ce que l'on a déjà sur son exploitation", conclut-il, jamais à court d'arguments pour promouvoir les circuits courts.