"Il y a une certaine fierté à être agriculteur en ce moment"

Quelles leçons le secteur agricole pourra-t-il tirer de cette crise ? Pour Sébastien Windsor, président des Chambres d’Agriculture et agriculteur en Seine-Maritime, le sujet de la souveraineté alimentaire est indissociable avec une relocalisation des productions et un retour de la compétitivité. Interview.

La profession agricole est valorisée en cette période de crise. Pensez-vous que cette situation va perdurer une fois la crise passée ? 

Je suis un vrai optimiste, donc je réponds que oui. La tendance à la relocalisation des achats, qui s'accentue en ce moment, était déjà un mouvement de fond depuis un certain temps. Les agriculteurs ont réussi à recréer du lien, et à rappeler que l'agriculture n'est pas qu'une profession qui ne fait qu'embêter le voisinage, mais qui est là pour nourrir sa population. A nous de travailler à maintenir ce lien. Cette crise a fait prendre conscience du risque de dépendance alimentaire et cette prise de conscience ne va pas disparaître du jour au lendemain. Il y a une certaine fierté à être agriculteur en ce moment. 

Le sujet de la souveraineté alimentaire revient en force à l'aune de cette crise. Quelles leçons en tirer et quelles mesures devraient être envisagées dans la prochaine PAC ?

Dans la prochaine PAC, il faudra trouver les leviers pour relocaliser. Au delà des règles environnementales, il faut des règles pour l'autosuffisance, en redéveloppant des outils de transformation, d'emballage, etc. Pour retrouver notre indépendance alimentaire, il faudra aussi remettre le sujet de la compétitivité sur la table, dans les secteurs où l'on a perdu cette compétitivité et où l'on délocalise notre production. Enfin, il faut inclure des règles d'importation pour les produits qui ne respectent pas les règles de production françaises.

Je pense aussi qu'il est important de permettre d'inclure une préférence géographique dans les appels d'offre de la restauration hors domicile. Actuellement, on ne peut pas mettre dans les appels d'offre des lycées ou des collèges le fait qu'ils veuillent s'approvisionner localement. Dans cette période où l'on parle de relocaliser les productions, je pense qu'une telle mesure serait totalement justifiée, au moins pour l'alimentation. 

Que peut (et qu'a fait) l'Europe pour aider les agriculteurs en cette période de crise ?

La réponse de l'Europe a un peu traîné, mais elle est arrivée quand même : l'augmentation du seuil des aides des minimis faisait partie des mesures que réclamaient les Chambres depuis un certain temps ; le report des déclarations PAC était aussi pour nous un sujet important ; enfin les mesures de stockage privé sont essentielles pour désengorger le marché. Mais il faudra aussi prévoir les mesures de sortie, au risque de se retrouver dans un marasme assez long. Par exemple, en lait, on assiste à une situation assez inédite puisque ce sont plutôt les produits haut de gamme qui se retrouvent en difficulté : AOC, fromages à la coupe en supermarché, fromages frais, etc. On aura besoin de mesures d'aide financière pour désengorger le marché après la crise : par exemple, mettre en restauration collective - lorsque celle-ci réouvrira - ces produits AOC et AOP qui coûtent un peu plus cher.

Cependant, les moyens dont dispose la Commission européenne aujourd'hui pour gérer la crise ne sont pas à la hauteur. La question est : les pays européens vont-ils vouloir gérer cette crise chacun chez soi ou grâce à une politique européenne ? Dans une période où les budgets des Etats vont être tendus, je pense qu'il y aura des réticences à augmenter les budgets européens.

L'appel national pour recruter de la main d'œuvre française à la place des saisonniers étrangers a-t-il été efficace ? 

L'appel à recrutement national a été une bonne façon de mettre en contact des gens venant par exemple de l'hôtellerie et de la restauration avec des agriculteurs. Il y a également eu un bouche-à-oreille au niveau local, avec des personnes au chômage qui se sont manifestées aux producteurs près de chez eux. Cela a assez bien fonctionné, même s'il faut prendre en compte une période de formation plus importante pour ces personnes. 

Cependant, il ne faut pas oublier que le plus fort des besoins de main-d'œuvre se situe en mai, juin et juillet. Or, à partir du 11 mai, une partie de ces salariés vont reprendre leur ancien travail. L'agriculture risque alors de se retrouver de nouveau à court de main-d'œuvre. Il faudrait que les frontières se ré-ouvrent, au moins au niveau européen, pour permettre aux saisonniers qui ont l'habitude de venir de pouvoir travailler, éventuellement sous réserve d'un contrôle de santé. 

Comment va évoluer l'activité des Chambres d'Agriculture après le 11 mai ?

Nous prévoyons une reprise partielle de l'activité, avec un peu moins de télétravail et la reprise du contact direct avec les agriculteurs quand c'est nécessaire. Nous allons accompagner en présentiel les agriculteurs qui n'ont pas pu faire leur déclaration PAC à distance, avec toutes les règles de biosécurité qui s'imposent. Nous travaillons également avec le ministère de l'Agriculture sur la reprise de la formation, de l'apprentissage et sur l'installation des jeunes.

Nous continuons également notre travail d'analyse des marchés. Quelques filières agricoles sont très fragilisées par cette crise. La filière horticole vit un vrai drame et va certainement perdre 70-80% de son chiffre d'affaires annuel. Même chose pour le monde équin qui a une activité plutôt saisonnière. Pour ces filières-là, les mesures mises en place par l'Etat ne suffiront pas car ce ne sont pas deux ou trois mois de chiffres d'affaire qu'il va falloir compléter, mais probablement un an. Il y a aussi des petites filières dont on parle moins mais qui sont très perturbées : c'est le cas dans ma région avec le cidre ou le lin. Pour toutes ces filières, nous sommes en train de faire un travail d'analyse afin de déterminer les demandes d'aides ou les mesures d'accompagnement à prendre en sortie de crise.