Banco pour le BEA, tant pis pour l’EBE

A Bais (Ille-et-Vilaine), Samuel Dugas a beaucoup investi dans le bien-être animal (BEA) au prix de gros sacrifices économiques et sans aucune contrepartie. La relation avec ses vaches laitières et le bien-être de l’éleveur (BEE) n’ont pas de prix. Mais jusqu’à quand ?

En matière de bien-être animal, il y a les investissements matériels. Chez Samuel Dugas, ils ont consisté par exemple à investir dans des matelas pour améliorer le confort en stabulation. Et puis il y a les investissements immatériels comme la prédilection pour le pâturage, assuré plus de dix mois sur douze, qui s’est traduit par l’arrêt du maïs et induit au passage par une relative désertion de la stabulation... matelassée.

"J’ai décidé que tout le monde devait moins travailler, moi comme les vaches"

Mais l’éleveur a fait d’autres choix plus radicaux. « Chaque année, sur un effectif de 40 vaches laitières, entre cinq et huit d’entre elles gardent leur veau auprès d’elles et donc ne sont pas traites, explique-t-il. Parmi elles, il y a les génisses de renouvellement, donc chaque année, ce ne sont pas les mêmes ». Et puis enfin il y a la monotraite, adoptée en 2019. « J’ai décidé que tout le monde devait moins travailler, moi comme les vaches », explique Samuel Dugas.

Sur 50 ha, 49 ha sont réservés à l’herbe et 1 ha à la betterave fourragère et au blé en mélange
Sur 50 ha, 49 ha sont réservés à l’herbe et 1 ha à la betterave fourragère et au blé en mélange

Une chute de 25 à 30% de la production

En travaillant moins, les vaches vont vivre plus longtemps : accroitre la longévité des animaux est un autre choix relevant du bien-être animal, initié il y a bientôt dix ans. « Je me suis fixé pour objectif de garder les vaches, au moins certaines, pendant quinze ans ». Si la monotraite et le veau sous la mère constituent les deux mamelles du bien-être animal au sein de l’exploitation, les deux pratiques entament la production d’une mamelle. « La perte de production est de l’ordre de 25% à 30%, alors qu’une vache en monotraite mange autant qu’une vache traite deux fois », constate Samuel Dugas. « Mais elles ont une toute autre allure, cela se voit sur leur corps ».

La mise en œuvre de la monotraite a coïncidé avec le début du tassement du prix du lait bio, qui ne s’est pas démenti depuis, et qui à ce titre, a bénéficié d’un petit appui de Biolait à qui l’éleveur livre son lait. Mais cumuler perte de prix et perte de volume n’est évidemment pas sans incidence sur la santé de l’exploitation. « La question du bien-être animal ne peut pas être décorrélée de celle du prix du lait », juge l’éleveur. Mais pour le moment, rien ne laisse présager une reconnaissance par le marché du BEA, alors que le prix du lait bio commence à pâtir d’un déséquilibre naissant, et inquiétant, entre l’offre et la demande.

Acceptation sociétale

Samuel Dugas ne désespère pas de transformer le bien-être animal en espèces sonnantes et trébuchantes, sans forcément passer par la case label. « Je suis convaincu que les efforts réalisés en matière de bien-être constitueront demain une condition de l’acceptation sociétale de l’élevage, devise-t-il. Je pense que pour des motifs environnementaux ou de bien-être animal, on n’aura pas le choix que de produire moins. Davantage qu’à un label, je crois à la valorisation en circuit court. J’espère que dans les dix à venir, avec d’autres éleveurs, on aura monté quelque chose pour mieux valoriser nos produits ».

La vente directe, en self-service et self-paiement, pourrait constituer le salut à moyen et long terme de l’exploitation
La vente directe, en self-service et self-paiement, pourrait constituer le salut à moyen et long terme de l’exploitation

Au sein de plusieurs groupes, dont Adage 35 et l’Adear, l’éleveur est impliqué dans une réflexion sur l’abattage à la ferme, reposant sur des caissons mobiles.

En attendant la juste valorisation, l’éleveur a opéré une diversification dans la production de légumes et de pommes pour compenser la perte induite par ses choix. Il est aussi sur le point de s‘associer avec sa compagne Lìdia, qui a créé récemment un élevage d’ovins.

Il est en tout cas pleinement satisfait d’avoir développé une autre relation avec ses animaux, tout en se gardant de faire la leçon. « Dans un moment difficile, tout éleveur peut se surprendre à donner un coup de bâton à une vache ». C'est un poncif de le dire mais le bien-être animal passe par le bien-être de l'éleveur. Samuel Dugas se l’applique à lui-même, se réservant du temps pour la musique, pour l’écriture et la réalisation chaque année d’un pèlerinage intermittent d’une dizaine de jours qui le mènera à terme à Jérusalem, dans un pays où l'on peut traire les vaches trois fois par jour...