[Décryptage] Le Ceta, tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir

Le Sénat a très largement rejeté le 21 mars le projet de loi de ratification de l’accord de libre-échange conclu entre l’UE et le Canada en 2016, visant à simplifier les échanges commerciaux et à lever les obstacles non tarifaires, et que l’Assemblée nationale avait adopté à une courte majorité en 2019. Eclairage.

C’est quoi le Ceta ?

Le Ceta (Comprehensive economic and trade agreement) est un accord de libre-échange initié en 2009 (sous Nicolas Sarkozy) entre le Canada et l’UE, conclu en 2016 (sous François Hollande), signé par les deux parties en 2017, ratifié par le Canada en 2017 et, à ce jour, par 17 états membres de l’UE. En France, l’Assemblée nationale l’a ratifié en juillet 2019 (sous Emmanuel Macron) mais le texte n’avait pas encore été soumis au vote du Sénat.

Que contient l'accord ?

L’accord commercial comprend une réduction voire une suppression des droits de douane dans certains secteurs (industriel, agricole), un meilleur accès au marché canadien par les prestataires de services, un accès facilité aux marchés publics, le renforcement de la protection de la propriété intellectuelle, la reconnaissance d’indications géographiques européennes, la mise en place d'un tribunal d'arbitrage.

Quels bénéfices pour l’agriculture française ?

L’accord supprime les droits de douane appliqués par le Canada sur les vins et spiritueux et porte à 32.772 t le contingent de fromage admis sans droits de douane, contre 13.472t auparavant. Il acte la reconnaissance par le Canada de 173 IGP européennes dont 42 françaises (Roquefort, Reblochon, Cantal, Saint-Nectaire, Pruneaux d'Agen...), s’ajoutant aux appellations reconnues depuis 2004 dans le secteur des vins et spiritueux.

Quels risques pour l’agriculture française ?

L’accord entérine la hausse progressive et sans droits de douane de quotas d’importation de produits canadiens à hauteur de 65.000t de bœuf (contre 4.162 t auparavant), de 75.000t de porc (contre 5.549t), 100.000t de blé ou encore 8.000t de maïs doux. La FNB dénonce une déstabilisation du marché, notamment des morceaux nobles (aloyau) aujourd’hui bien valorisés et une concurrence déloyale du fait des différences de normes entre le Canada et l’UE.

Qu’en est-il du bœuf aux hormones ?

Le Canada autorise l’utilisation d’activateurs de croissance mais le Ceta bannit leur usage chez les animaux à destination de l’UE. Idem pour la ractopamine administrée aux porcs pour obtenir une viande plus maigre et plus protéinée. Mais les pourfendeurs de l’accord doutent des procédures de contrôle mises en œuvre des deux côtés de l’Atlantique, la Commission européenne ayant elle-même relevé des lacunes dans un audit publié en septembre 2022.

Que s’est-il passé depuis 2017 ?

Bien que non ratifié par l’ensemble des Etats membres de l’UE, l’accord est (provisoirement) actif depuis 2017. Pour ce qui est des échanges entre la France et le Canada, le ministère du Commerce extérieur indique qu’en six ans, les exportations vers le Canada ont bondi de 33%. L'excédent des filières agricoles et agroalimentaires a été multiplié par trois, à 578 millions d'euros : +24 % d'exportations vers le Canada pour le vin, +60 % pour le fromage, +106 % pour les produits sidérurgiques, +142 % pour les textiles et chaussures, +71% pour les services. Dans l’autre sens, le ministère évoque un effet « quasi-nul » : les importations du Canada représentent 0,0034 % de notre consommation de bœuf et moins de 0,001 % de celles de volaille et de porc.

Pourquoi le Ceta ressurgit en 2024 ?

Le groupe communiste du Sénat a mis à profit sa niche parlementaire pour présenter le projet de loi de ratification du Ceta. Il a notamment rallié à sa cause la gauche mais également Les Républicains. Depuis la signature de l’accord, la majorité sénatoriale s’est toujours opposée à la ratification, faisant ainsi office de repoussoir pour la majorité présidentielle.

Quelle sera la suite ?

En toute logique, le France devrait notifier à la Commission européenne le rejet du Ceta, ce qui aurait pour effet de suspendre son application dans toute l'UE. Mais elle n’y est pas contrainte. Dans l’UE, seule Chypre a rejeté le Ceta, sans le notifier. Autre option : revoter à l’Assemblée nationale, pour peu que le projet de ratification soit inscrit à l’agenda d’une chambre à la majorité relative.