Chine : quel scénario de reprise après la crise sanitaire ?

Épicentre du virus, la crise sanitaire semble maintenant derrière la Chine. Déconfinement de Wuhan, réouverture des écoles et des commerces, les signaux sont au vert. Pourtant, la reprise économique s’annonce plus compliquée que prévu. Le PIB s’est contracté de 6,8 % au premier trimestre, etl’amélioration des indicateurs de demande reste très lente.

La production repart, la bonne surprise du commerce extérieur

Côté production, les taux d'activité continuent d'augmenter. Toutes les provinces à l'exception du Hubei font état d'un taux de reprise proche de 100 %, même si les entreprises produisent à un niveau très inférieur à celui de leurs capacités. Après un fort repli de 13,5 % sur les deux premiers mois de l'année, la production industrielle ne s'est contractée que de 1,1 % en mars en glissement annuel. La bonne surprise est également venue des chiffres du commerce extérieur, bien moins mauvais qu'anticipé. Avec une baisse des exportations de 6,6 % en glissement annuel et un recul des importations de 0,9 %, la Chine a réussi à fortement limiter la chute de son commerce extérieur, et dégage même un excédent commercial de 20 milliards de dollars en mars. Les mois à venir pourraient bien sûr s'annoncer plus difficiles, les mesures de confinement en Europe et aux États-Unis, principaux clients de la Chine, étant pour l'essentiel rentrées en vigueur mi-mars.

Des signaux encore timides côté demande

Côté demande en revanche, plusieurs paramètres indiquent que la reprise est beaucoup plus progressive qu'escompté, éloignant les perspectives d'un scénario de « rebond en V » de l'activité. L'inquiétude première porte sur le marché de l'emploi. Certes, le chômage urbain a légèrement décéléré, mais les créations d'emplois se sont effondrées (-30 %) au premier trimestre, et surtout environ 30 % des travailleurs migrants ne sont pas revenus sur leur lieu de travail et ne sont donc plus comptabilisés dans les statistiques. Cette main-d'œuvre, très flexible, est  principalement employée dans des petites PME urbaines (restauration, commerce, hôtellerie). Plus généralement, le secteur des services – un emploi urbain sur deux – apparaît particulièrement touché. Or, c'est celui qui concentre le plus de dommages irréversibles, les comportements de report d'achat y étant plus incertains, et les comportements de stockage y étant par nature impossibles. À cela s'ajoute enfin la problématique des nouveaux entrants, puisque cette année, près de 9 millions de diplômés vont rejoindre le marché du travail. Cette main-d'œuvre, principalement urbaine et formée pour travailler dans le secteur tertiaire, risque d'avoir du mal à s'intégrer.

Le ralentissement de l'inflation – hors produits alimentaires – et les indices de fréquentation des transports en commun des principales villes chinoises – surtout le week-end – sont d'autres signes témoignant de la faiblesse de la demande. En mars, les ventes au détail ont continué de se contracter fortement (15,8 % en glissement annuel). Si l'emploi est nécessaire pour alimenter la consommation privée, devenue le principal moteur de la croissance chinoise, il l'est aussi pour éviter des défauts en série. Avec la hausse des prix de l'immobilier dans les grandes villes chinoises, le coût du logement représente maintenant 35 % du revenu annuel disponible des ménages. Or, ces mêmes revenus ont baissé en moyenne de 5 % sur le premier trimestre, une première. Plus inquiétant, les crédits immobiliers sont passés de 50 à 84 % du revenu disponible en cinq ans, dont 5 % pour les seules charges d'intérêt. Même si l'endettement des ménages reste relativement maîtrisé (à 45 % du PIB environ), et que de vastes réservoirs d'épargne existent, la crise pourrait faire replonger une partie de la population dans la pauvreté et briser le contrat social en place.

Focus sur le secteur agricole

Le secteur primaire ne représentait plus que 7,4 % du PIB en 2019, contre 15 % en 2000. L'exode rural, la mécanisation des campagnes, l'ouverture de la Chine aux importations ainsi que la tertiarisation de l'économie ont accéléré cette transition, à tel point que la Chine est devenue importatrice nette de produits agricoles. En 2019, la balance agro-alimentaire chinoise représentait le premier poste de déficit, notamment en raison des importations de soja et de produits carnés. La Chine demeure toutefois le premier producteur mondial de blé et de riz, et le deuxième de maïs. Le poids du secteur agricole reste également important pour le marché du travail, puisqu'il emploie encore un peu moins de 30 % de la main-d'œuvre chinoise, soit 400 M de travailleurs, avec de fortes disparités entre provinces, plus rurales à l'ouest et plus urbanisées à l'est. Ces agriculteurs alternent souvent entre leur travail dans des exploitations majoritairement familiales (superficie moyenne d'un demi-hectare) et des activités à la ville. Avec le retour de dizaines de millions de travailleurs migrants dans leurs campagnes d'origine et le choc sur le secteur des services, ce modèle pourrait être temporairement remis en question, au profit d'une activité 100 % agricole, moins rentable, et donc entraîner une perte de revenus dans les campagnes, déjà beaucoup plus pauvres que les villes.

Chine : tertiarisation de l'économie

La production agricole souffre cependant peu de la crise. À la différence d'une catastrophe naturelle ou d'une guerre, la crise actuelle n'a aucun impact destructeur sur les capacités de production. Le secteur agricole, moins touché par les restrictions sanitaires, est ainsi celui qui a le mieux résisté au premier trimestre, en enregistrant une contraction de 3 % vs 6,8 % pour l'ensemble de l'économie. Certaines productions, notamment de produits frais (lait, viande) ont cependant subi de fortes baisses, non en raison d'un manque de demande – en témoigne la forte inflation observée depuis plusieurs mois sur les produits alimentaires – mais de la désorganisation des circuits de distribution. Les dépenses alimentaires représentent encore près d'un tiers des achats des ménages, et font partie des catégories de biens les plus inélastiques au revenu. Le secteur devrait donc être un des premiers à redémarrer, les chiffres d'avril seront à surveiller. Pas étonnant dans ce contexte que les importations agro-alimentaires, de céréales et de viande notamment, aient progressé en volume depuis le début de l'année, malgré des prix mondiaux en hausse. Après une activité réduite, notamment en février, les ports et le fret aérien sont repartis en mars. Cette gestion de  l'approvisionnement est vitale pour les autorités, la Chine comptant sur l'extérieur pour nourrir sa population. Toute pénurie y serait perçue comme un « grand bond en arrière » et renchérirait un risque politique déjà tendu par la crise sanitaire.

Article extrait de PRISME L'analyse de la conjoncture et de l'actualité agricole et agroalimentaire - 7 mai 2020