Deux Hémicycles font un camembert AOP

Des députés et des sénateurs s’écharpent sur la nouvelle mouture de l’AOP Camembert de Normandie, à deux niveaux de gamme, programmée pour le 1er janvier 2021. La « guerre » du camembert tire à sa fin et c’est le ministre de l’Agriculture qui tient le couteau (à fromage).

C'est un peu comme si l'Assemblée nationale et le Sénat jouaient les prolongations du Salon de l'agriculture, neuf jours ne suffisant pas à déguster 500 et quelques AOP françaises. Dont l'AOP Camembert de Normandie. Le 13 mars dernier, le député du Loiret Richard Ramos (MoDem) distribuait à ses collègues des camemberts estampillés « AOP Camembert de Normandie », c'est à dire au lait cru et moulé à la louche (en cinq coups), tiré de vaches à 50% minimum de race normande broutant dans une zone délimitée bien délimitée (Manche, Orne, Calvados et une partie de l'Eure).

Mention « véritable »

Acquise en 1983 (1982 pour l'AOC), l'AOP camembert de Normandie n'est pas une longue pâture tranquille. La cohabitation entre l'AOP au lait cru et le camembert « Fabriqué en Normandie » s'est dégradée en 2012 lorsque les artisans du lait cru ont assigné en justice les industriels du lait pasteurisé (Lactalis, Savencia ex-Bongrain, coopérative Isigny-Sainte-Mère), sommés d'effacer de l'emballage la mention « Fabriqué en Normandie », prêtant à confusion. Depuis, Lactalis a accru sa représentativité dans la filière AOP, en réalisant plusieurs acquisitions porteuses du fameux sigle AOP (Graindorge  Jort, Moulin de Carel). De quoi peser sur l'ODG. Résultat, après moult tractations, en février 2018, l'INAO entérinait un accord entre les deux parties. C'est ainsi qu'à compter du 1er janvier 2021, l'AOP Camembert de Normandie recouvrira deux modes d'élaboration, la mention « véritable » distinguant les fromages au lait cru de ceux au lait pasteurisé.

« Normandisation » des troupeaux

Soumis en mars dernier à l'INAO, le cahier des charges consacre une montée en gamme des deux lignées de produits. Elle est quasiment anecdotique pour le futur « véritable » camembert, autrement dit le haut de gamme, le quota de vaches de race normande exigé passant de 50% à 60%. La marche est en revanche beaucoup plus haute pour le futur « cœur de gamme » au lait pasteurisé, Son cahier des charges exigera que la production soit issue de 30% au moins de vaches normandes, pâturant au moins six mois et excluant les OGM pour le reste de l'alimentation. Véronique Richez-Lerouge, la présidente de l'association Fromages de terroirs, estime que l'introduction de "deux niveaux de gammes" dans une AOP "va créer une instabilité juridique". Et défend la mise en place d'une Indication géographique protégée (IGP), en lieu et place d'une AOP à deux vitesses.

Meilleure valorisation

Sans rien retirer au « véritable » camembert AOP, dont la production actuelle est évaluée à 5.600 t par an, la redéfinition de l'AOP devrait permettre, selon ses promoteurs, de labelliser environ 70% des 65.000 t de camembert non certifiées aujourd'hui. De quoi offrir, potentiellement, à de nombreux éleveurs, un supplément de valorisation maisqui reste à ce stade encore très théorique. Les promoteurs du camembert au lait cru seront quant à eux attentifs aux mentions et informations qui figureront sur les deux types de produit. En l'état actuel du dossier, c'est au ministre de l'Agriculture qu'il appartiendra de trancher. Les deux Hémicycles joindront-ils leurs deux bords pour constituer « une forme cylindrique de 3 cm d'épaisseur et d'un diamètre variant entre 10,5 et 11,5 cm », autrement dit le futur camembert AOP de Normandie ? P'têt ben que oui...