La peste en embuscade, comment prédire l’imprévisible

Après le beau temps, la pluie. La filière porcine en fait l’amère expérience depuis le début de l’année. Alors que les cours du porc jouent à l’encéphalogramme plat et que le prix des céréales tente une remontée, la Peste Porcine Africaine s’annonce en embuscade. Le bilan de l’année 2018 sera probablement mauvais. Celui de l’année 2019 est impossible à prédire.

De mi-2016 à l'automne 2017, la production porcine aura connu à peine un an et demi de très bonne conjoncture grâce à un bon prix du porc combiné à un prix des aliments raisonnable. Les résultats économiques des éleveurs se sont nettement redressés. Mais certains peinent encore à éponger les déficits des 10 mauvaises années précédentes. Pour qu'ils y parviennent il aurait fallu que l'embellie dure une à deux années de plus. Or les cours du porc sont retombés à un bas niveau fin 2017 et n'ont quasiment pas décollé en 2018. En cause: une offre mondiale de porcs abondante.

Plus de porcs

En 2017 elle a augmenté de 1 %; pour 2018, les prévisions tablent sur + 1,5 à + 2 %. Les Etats-Unis affichent +3 % au 1er semestre 2018 et potentiellement +5 % sur l'année. Avant l'arrivée de la Peste Porcine Africaine, des hausses étaient également attendues en Chine à (+2 %), en Russie (+3 %) et dans l'Union européenne (+1,5 %). La concurrence entre pays excédentaires (Canada, États-Unis, Brésil, Union européenne) est très forte pour capter les marchés. D'autant que beaucoup de pays européens voient leur consommation intérieure baisser. En France, sur le 1er semestre, les achats de porc frais sont en baisse de 6,5 %, celles de charcuteries de 2,6 %.

Les prix de la colère

Au 1er octobre, au MPB2 le prix de base moyen 2018 s'établit à 1,201 €, en recul de plus de 16 % par rapport à 2017. Le printemps-été n'a pas vu de pic saisonnier du cours malgré une météo très ensoleillée, favorable aux grillades, et une offre européenne limitée à cette période. À la mi-septembre, l'annonce de l'arrivée de la Peste Porcine Africaine en Belgique a fait perdre à la cotation les quelques centimes gagnés en juillet-août. Au sein de l'Union, sur 8 mois de 2018 les cotations sont toutes en baisse comparé à 2017 : -12 % en Espagne, -15 % en Allemagne, -19 % au Danemark. Cependant, en2018 comme en 2017, le prix payé aux éleveurs français se situe en dessous des prix allemands et espagnols (prévisions : respectivement -7 et -8 centimes/kg1(*)). 

D'où la colère des producteurs et les tensions qui se sont manifestées au MPB depuis la fin de l'été. Au point de devoir dématérialiser les séances à partir du 20 septembre pour une durée indéterminée. Les éleveurs interrogent la représentativité du MPB. Celui-ci ne voit plus passer que 10 % de la production de la zone Uniporc Ouest2 (**) depuis le départ des deux premiers abatteurs français en 2015 (Cooperl et Bigard), mais sert toujours de référence pour l'ensemble du commerce de porc. Le MPB ne compte plus que 4 acheteurs principaux (représentant 99,69 % des achats) dont 2 sont liés à la Grande distribution: JPA (groupe Intermarché, 15 % des achats du MPB) et Kerméné (Groupe Leclerc, 31 % des achats).

L'UGPVB (***) et la FNP (****) voient le salut du Marché dans la formation d'une Association d'Organisations de Producteurs (AOP) afin de regrouper l'offre pour peser davantage face aux abatteurs. L'objectif serait de présenter au cadran le maximum, voire 100 %, des porcs des groupements de la zone Uniporc Ouest. Faudra-t-il aussi y faire passer les porcs issus des démarches de segmentation? Certains le souhaitent, réclamant au passage de limiter le nombre de cahiers des charges à 3: un pour le label, un pour le porc conventionnel et un pour le bio. Les différentes annonces de contrats tripartites négociés entre producteurs, abatteurs et distributeurs, semblent indiquer que les choses n'évoluent pas dans ce sens.

(*) Source FNP d'après Ifip et MPB.

(**) À l'ouest d'une ligne reliant le département du Nord et celui des Pyrénées Atlantique.

(***) Union des Groupements de Producteurs de Porc de Bretagne

(****) Fédération Nationale Porcine

Hausse contenue de l'aliment

En matière d'alimentation animale, son coût est attendu en hausse sur le 2e semestre. La sécheresse qui affecte l'Europe depuis plusieurs mois a entraîné une baisse des récoltes céréalières et en conséquence une hausse de leur prix. Au mois d'août, Blé et orge se situaient respectivement 30 et 50 % au-dessus de leur niveau d'août 2017. Cependant, les stocks relativement élevés, notamment aux États-Unis, devraient prémunir d'une réelle envolée. Il en est de même pour le prix du soja. La hausse de son cours, intervenue au printemps en raison d'une mauvaise récolte en Argentine, a vite été stoppée par des annonces de récoltes satisfaisantes aux États-Unis et de stocks plus importants qu'estimés initialement dans ce même pays.

Les prévisions croisées des conjonctures prix du porc et coût de l'alimentation animale, conduisent à une vision plutôt pessimiste de 2018. Sur 10 mois, la marge sur coût alimentaire se situe à 0,46 €/kg net contre 0,7 € en 2017. À partir d'octobre, elle descend entre 0,30 et 0,35. Elle devrait y rester jusqu'au 1er semestre 2019. Dans les conditions actuelles 2018 peinera à être meilleure que 2015 d'où de réelles tensions à prévoir sur les trésoreries, et la difficulté pour certains de regagner, encore une fois, la confiance de leurs partenaires bancaires.

La Peste derrière la porte

Mais en réalité, l'année porcine dépendra d'un autre facteur: l'avancée de la Peste Porcine Africaine, en Europe d'une part, en Asie de l'autre et en particulier en Chine. Plusieurs foyers sont apparus dans ce pays au cours de l'été. L'épidémie semble s'y répandre rapidement et aurait déjà conduit à abattre plus de 38000 animaux. Il est bien difficile de prévoir les conséquences du phénomène dans ce pays, premier producteur mais aussi premier consommateur de porc au monde. Un appel d'air aux importations, à l'image de l'année 2016, n'est pas à exclure. Reste à savoir quelle région du monde sera en mesure d'approvisionner la Chine à l'heure où l'Union européenne voit elle aussi la menace s'amplifier sur son sol et les marchés export se fermer pour certains de ses membres. La crainte est de voir l'Allemagne contaminée, avec arrêt de ses exportations en dehors de l'Union européenne. Les volumes se retrouveraient sur le marché européen, faisant chuter le cours du porc. Pour approvisionner son marché intérieur la Chine sera-t-elle contrainte de mettre en sommeil la guerre commerciale engagée avec les États-Unis ? L'avenir à court terme de la production porcine mondiale n'a sans doute jamais été aussi difficile à prédire.

Article CERFRANCE - veille économique novembre 2018 - Anne Bras