Le porc en Chine : une filière en pleine mutation

La Chine est le premier producteur et consommateur de porc au monde. Le porc est un produit important pour les consommateurs chinois et le renforcement de l’autonomie nationale est recherché par les autorités. L’élevage se restructure et se modernise, et les consommateurs favorisent une offre de plus en plus qualitative. Mais la filière est contrainte par sa dépendance aux importations de matières premières alimentaires et menacée par la diffusion du virus de la fièvre porcine africaine.

Le porc, une filière prépondérante en Chine 

La Chine est de loin le plus important producteur et consommateur de porc au monde. Selon les données officielles, 53,4 Mt équivalent carcasse ont été produites en 2017, soit 48,5 % de la production mondiale. Mais la consommation dépassait la production de 1,3 Mt équivalent carcasse. La Chine est le second producteur mondial de volaille avec 17,3 Mt produites en 2017, et le troisième producteur de viande bovine (7,3 Mt en équivalent carcasse en 2017).

Depuis des décennies, la production porcine chinoise progresse, bien qu'elle rencontre régulièrement des périodes de ralentissement. Depuis 2000, la production a enregistré une hausse de 35 %. En 2014, la production était même à son apogée avec plus de 56,7 Mt équivalent carcasse produites (Figure 1). Elle reste la première viande produite dans le pays avec 65 % des volumes toutes viandes confondues. Elle est donc au premier rang des préoccupations des autorités chinoises : le porc pèserait à lui seul pour près de 12 % dans l'indice des prix alimentaires et près de 3,5 % dans l'indice global des prix en Chine, un poids 5 à 10 fois supérieur à celui de pays de l'OCDE comme le Japon, l'Allemagne ou les États-Unis.

La production est dominée par de nombreuses exploitations de petite taille, localisées principalement dans les provinces du Sud-Est du pays. En 2017, plus de 25 millions de fermes produisaient moins de 500 porcs par an (40 % du total), alors que 250 000 à 300 000 produisaient plus de 500 porcs par an, représentant 60 % de la production chinoise. Seulement 5 % du cheptel de truies se répartissent sur des sites de plus de 15 000 truies. Ces sites sont détenus par de grands groupes tels que Wens Group, Tian Bang ou encore MuYuan Foodstuff (Tableau 1).

Les 10 leaders de la production n'assuraient que 5,6 % de la production totale chinoise, illustrant l'atomisation du modèle de production national. Ces grands groupes ont le plus souvent plusieurs activités dans la filière telles que l'alimentation animale, l'élevage, l'abattage ou encore la transformation. Par ailleurs, face aux risques du marché, de nombreux petits producteurs se lient à ces groupes par des contrats

1 - La production se modernise

Depuis quelques années, le secteur porcin est touché par une profonde restructuration. Sous l'effet de choix économiques et des contraintes environnementales, le Gouvernement chinois a engagé depuis 2015 une réorientation de sa politique agricole. Les mesures pour limiter les pollutions et la volonté des autorités de moderniser et d'agrandir les structures productives sont à l'origine d'un arrêt de certains producteurs. Les petites structures d'élevage en sont les plus touchées et leur disparition devrait se poursuivre dans les années à venir.

Le Gouvernement souhaite développer une production porcine intégrée dans le Nord-Est du pays, où la plus faible densité animale permet d'accueillir de nouveaux élevages. Ainsi, zones d'élevage et zones de culture céréalière pourraient être rapprochées, diminuant les frais d'approche et donc les coûts alimentaires. Plusieurs grandes entreprises ont décidé de se projeter dans ces provinces du Nord. Elles auraient investi près de 7,5 Mds € entre 2016 et 2017 pour construire des élevages. Ces grandes entreprises ont mis en place des systèmes d'intégration ou de contractualisation des élevages de porcs. Les groupes de fabrication d'aliment assurent ainsi leurs débouchés et les groupes d'abattage sécurisent leur approvisionnement.

La productivité des élevages chinois est plus faible que celles des autres grands pays producteurs, mais elle s'améliore rapidement. Ces progrès sont les témoins de la restructuration profonde du système de production porcin chinois, et du développement de grandes exploitations professionnelles.

 

2 - Les importations répondent à la forte demande

La refonte du modèle de production chinois est aussi liée aux dynamiques de consommation. Depuis quelques années, l'écart se creuse entre les quantités de viandes produites et celles disponibles à la consommation (Figure 1). Le taux d'auto-approvisionnement est tombé à 97 % en 2017, alors que l'autosuffisance reste un objectif pour les autorités chinoises. Depuis 2000, les importations ont ainsi été multipliées par 25. En 2017, la Chine continentale a acheté sur le marché international près de 1,6 Mt équivalent carcasse de produits du porc (hors abats). Si les abats constituent encore une part très importante des importations (1,2 Mt en 2017), les achats de pièces congelées se développent. Les principaux fournisseurs du marché chinois en 2017 étaient l'Union européenne (1,4 Mt), suivie de l'ALENA (584 000 tonnes). Cependant de nombreuses entreprises ne bénéficient pas d'un accès direct au marché continental chinois, et une part non négligeable (11 % en 2017) des importations chinoises passe par Hong Kong, plaque tournante du commerce en Asie de l'Est. En 2017, les importations de viandes et de sous-produits ont reculé de 22 % en volume par rapport à 2016, compte tenu de la baisse des prix chinois et du redressement de la production. Néanmoins, les achats chinois du premier semestre de l'année 2018 se retrouvent à des niveaux équivalents à ceux de 2017. Les tensions commerciales avec les États-Unis ont entraîné une baisse des importations de viandes d'origine américaine (-23,6 % au premier trimestre de 2018 par rapport à 2017), qui ont été compensées par la hausse des importations brésiliennes, les livraisons depuis l'UE restant au même niveau.

3 - Une consommation plus qualitative

De nouvelles tendances de consommation apparaissent sur le marché chinois. Ces récents changements sont connectés aux évolutions socio-économiques du pays telles que l'amélioration du niveau de vie et l'urbanisation. La consommation de viande de porc en Chine s'est récemment stabilisée en volume. Les consommateurs délaissent la viande de porc aux profits d'autres espèces telles que la volaille (+ 7 % 2017/16), le bœuf (+ 10 %) et le mouton (+ 9 %). Désormais, les consommateurs chinois se tournent vers une alimentation de meilleure qualité nutritionnelle et sanitaire. Les scandales alimentaires à répétition continuent d'ébranler la confiance des Chinois et les préoccupations concernant l'obésité et les maladies cardiovasculaires s'amplifient.

4 - Des ventes par internet qui explosent

La Chine assiste aussi au développement des achats en ligne de produits alimentaires. Le e-commerce permet de diversifier l'offre et les canaux d'approvisionnement. Dans les zones urbaines, il représente une solution plus commode et rapide pour s'approvisionner que les hypermarchés ou les marchés en plein air, vu les embarras de la circulation. En 2017, plus de 150 millions de consommateurs ont commandé des produits alimentaires par internet. La part de marché de la vente en ligne de produits frais explose, ouvrant notamment des opportunités pour les pays exportateurs. La market-place Tmall (groupe Alibaba), leader sur ce secteur, a ainsi signé en 2017 un partenariat d'approvisionnement avec Danish Crown. Les produits français sont également très appréciés, bien implantés dans les hypermarchés (Auchan, Carrefour) et online comme chez Tmall.

Cependant, dans la plupart des régions chinoises en zone rurale, les marchés de producteurs restent les principaux points de vente de viandes fraîches et tentent de rivaliser avec la commodité des achats en ligne. Les modes de consommation et les circuits de commercialisation restent très divers selon les régions et entre les villes et les campagnes.

 

5 - Un effondrement du prix du porc depuis 2016

La restructuration du système de production, les fluctuations du pouvoir d'achat, et l'ouverture aux importations engendrent de forts déséquilibres entre offre et demande. Le cours du porc a atteint un record historique au printemps 2016 mais avait ensuite rechuté de moitié (Figure 2). Le prix du porc a atteint son point bas mi 2018, avant de rebondir durant l'été, période pourtant moins propice à la consommation. L'apparition de l'épizootie de fièvre porcine africaine semble avoir stimulé le prix du porc à la hausse.

 

6 -  Le danger de la fièvre porcine africaine

La fièvre porcine africaine est une maladie hémorragique hautement contagieuse qui ne présente pas de danger pour l'homme mais est mortelle pour les porcs et sangliers. Apparue en Géorgie en 2007, l'épizootie s'étend actuellement en Russie et en Europe de l'Est, et même tout récemment en Belgique. Le virus est apparu en Chine en août 2018 dans la province de Liaoning, au nord-est du pays. La Chine n'avait jamais été touchée auparavant par ce virus. Depuis, 21 foyers ont été dénombrés dans sept provinces. La propagation de l'épizootie est rapide et difficilement contrôlable, en particulier dans des zones où les fermes familiales sont multiples, souvent sans application de règles sanitaires, et où les échanges sont nombreux. Au total, 897 porcs sont morts, 2 785 porcs ont été infectés et près de 40 000 porcs ont été abattus dans les zones infectées. Contenir cette épizootie dans un pays de plus de 430 millions de porcs représente en enjeu majeur et présente de grandes difficultés. Le virus déstabilise déjà le marché. Le prix moyen national en Chine s'établissait autour de 14 yuans/kg vif début septembre mais, depuis Shanghai, le bureau de l'IFIP-Institut du Porc présent depuis 10 ans en Chine relève d'ores et déjà d'inhabituelles fortes disparités du prix du porc entre certaines provinces. Suite à l'interdiction de transport entre les provinces infectées et les limitrophes, des provinces pourvoyeuses de porcs pour le reste de la Chine comme le Heilongjiang dans le Nord-Est ou celle du Henan ont vu leur prix chuter entre 10 et 11 yuans/kg vif. À l'échelle de ces provinces, l'offre de porcs est devenue totalement déséquilibrée par rapport à la demande locale. Certains producteurs accélèrent en effet les abattages pour devancer la maladie ou anticiper une forte baisse des prix.

À l'inverse, la province du Zhejiang qui jouxte Shanghai a connu une baisse significative de sa production depuis 2013 lorsqu'elle fut pointée du doigt au moment du scandale des porcs retrouvés dans le fleuve de Shanghai. L'offre actuelle ne satisfaisant plus la demande locale, le prix du porc s'y est envolé à près de 20 yuans/kg vif.

Un autre point de vigilance est la faiblesse de l'indemnisation d'abattage du troupeau à la ferme en cas d'infection. Malgré une revalorisation suite aux premiers cas, cet écart persistant avec le prix du porc pourrait inciter des éleveurs qui soupçonnent cette épidémie dans leur élevage à écouler clandestinement de la viande ou leurs animaux qui paraissent sains.

7 - L'alimentation animale, facteur limitant

Le secteur industriel de l'alimentation animale chinois est au premier rang mondial en termes de volume. Tiré par la professionnalisation des éleveurs et le développement d'élevages de grande taille dans les années deux mille la production d'aliment complet pour les monogastriques est prépondérante. Le porc représenterait environ 40 % des besoins en alimentation animale en Chine.

Le secteur se restructure et se concentre. Ce mouvement est très spectaculaire depuis 2005, après le rachat de LiuHe par la société New Hope désormais leader chinois du secteur. Il s'explique notamment par une baisse importante des profits liée à la hausse des prix des matières premières. Les investissements sont à la hausse pour faire face à l'évolution des réglementations nationales en matière de sécurité sanitaire. Cette évolution a abouti à la présence d'une dizaine d'entreprises chinoises dans le top 20 mondial des fabricants d'aliment. Les grandes entreprises productrices d'aliments composés investissent actuellement dans la production et la transformation de viandes porcines, jouant un rôle moteur dans la filière nationale.

8 - Une politique de gestion du maïs erratique

La filière porcine chinoise dépend du bon approvisionnement en céréales et en oléoprotéagineux. Les ressources sont limitées et les besoins gigantesques. Le maïs constitue la céréale la plus consommée par le secteur de l'alimentation animale. La gestion de sa production et de ses stocks constitue une véritable problématique pour les autorités chinoises. De fait le pays a constitué des stocks immenses de maïs entre 2008 et 2015 alors que la politique agricole du pays encourageait sa production par des prix de soutien élevés. Depuis 2016 cette politique s'est inversée, le prix minimum a été supprimé et les autorités cherchent à vider les stocks à travers des ventes aux enchères et des subventions pour encourager son utilisation industrielle. L'objectif est double : alléger la charge financière du stockage de maïs (près de 179 Mt en 2015), et diminuer le prix des céréales pour favoriser l'élevage. L'éthanol est un des usages possibles des stocks de céréales, en particulier de maïs de mauvaise qualité inutilisable en alimentation humaine et animale. La politique agricole de la Chine tente aussi d'encourager la diversification des productions. Les aides à la production ont été ajustées ces dernières années (plan quinquennal de 2016) pour favoriser la culture de soja et des cultures vivrières au détriment du maïs.

 

9 - Une dépendance problématique au soja

Si la Chine est le premier producteur mondial de blé et de riz, le deuxième producteur mondial de maïs, elle ne produit que 4 % des graines de soja au niveau mondial. Principalement utilisée pour l'alimentation humaine, la production nationale ne fournit que 15 % des besoins du pays. Premier importateur de soja au monde, elle absorbe ainsi 60 % des exportations états-uniennes. Le marché chinois est donc directement affecté par la forte hausse des taxes à l'importation sur le soja des États-Unis. L'escalade douanière a eu des effets dépressifs sur la graine de soja aux États-Unis, mais n'a pas encore eu de répercussion importante sur les approvisionnements chinois, compte tenu de la saisonnalité des envois états-uniens concentrés entre octobre et mars. Cependant les importateurs chinois pourraient, du fait de l'incertitude politique actuelle, basculer leurs achats au profit d'autres pays producteurs tels que le Brésil et l'Argentine.

10 - Encore de nombreux défis à relever pour la filière

La Chine garde la volonté de devenir autosuffisante en porc, et de réduire sa dépendance aux importations de viandes, mais aussi de céréales. Cependant, la modernisation des structures productives a introduit des techniques et technologies étrangères, pour lesquelles une main-d'œuvre qualifiée est nécessaire, mais fait défaut. De nouvelles réglementations concernant l'environnement, ou encore l'activité des abattoirs sont mises en place. Elles sont coûteuses et contraignantes pour les entreprises. Enfin, le secteur porcin chinois va devoir s'adapter rapidement aux nouvelles tendances de consommation dans un marché fortement concurrentiel. Le contexte est plus que jamais incertain, entre tensions politico-commerciales et une épizootie de fièvre porcine africaine difficilement contrôlable.

Lire tout le dossier : PRISME n° 22 – OCTOBRE 2018 -  L'analyse de la conjoncture et de l'actualité agricole et agroalimentaire