Pourquoi la récente remise en liberté d'un ours en Suisse relance le débat en France ?

La réintroduction d'une ourse en Suisse il y a quelques jours, ravive les tensions autour de la présence des ours en France, alors que les éleveurs s'inquiètent face à une augmentation de la population ursine et des attaques de troupeaux, les tensions persistent entre partisans et opposants à la cohabitation avec ces prédateurs.

Il aura suffit d’une remise en liberté d’une ourse en Suisse à la mi-avril pour raviver les passions concernant la présence ursine sur notre territoire. L’oursonne orpheline, originaire de Lettonie, recueillie dans un zoo-refuge du centre de la France devait être réintroduite dans son milieu naturel. Cependant, le choix de l’endroit suscitait des interrogations : les ariégeois confrontés à des attaques d’ours répétées, craignaient que ce soit sur leurs terres. Finalement, le transfert s’est effectué chez nos voisins helvétiques. Cet événement a néanmoins ouvert une brèche dans le débat : la présidente du Département de l’Ariège ainsi que les présidents de la Chambre d’agriculture de l’Ariège et de la Fédération pastorale de l’Ariège ont rédigé un communiqué dans lequel ils affirment que “désormais plus rien ne peut s’opposer à la mise en oeuvre d’un processus de régulation de cette espèce protégée, que l’Ariège demande depuis si longtemps !”. La Suisse est ainsi perçue comme une nouvelle terre d’accueil. Les trois présidents ariégeois pointent du doigt la responsabilité de l’État dans les transferts d’ours. Cependant, l’Office français de la biodiversité conteste : ce n’est pas l’Etat qui était chargé de ce cas-là. Malgré tout, le débat est relancé. 

 

Augmentation de la population des ours

Selon le dernier rapport de l’Office Français de la Biodiversité (OFB) relayé par le Réseau Ours Brun (ROB) et publié le 2 avril, Boucle d’Or des frères Grimm, ne risque pas de rencontrer trois ours, mais bien 83. Une augmentation de spécimens de 7 ours bruns par rapport à 2022. Parmi eux, 43 sont des adultes potentiellement reproducteurs, tandis que 16 oursons ont été enregistrés en 2023. Un record depuis la réintroduction de l’ours brun dans les Pyrénées depuis les premiers lâchers en 1996. L’aire de répartition de l’espèce s’est étendue de 1700 km2 en 2023 et atteint aujourd’hui 7100 km2 entre les Pyrénées-Orientales et la Navarre espagnole. Cinq départements français sont concernés : les Pyrénées-Atlantiques, les Hautes-Pyrénées, la Haute-Garonne, l’Ariège et les Pyrénées-Orientales. 

De quoi inquiéter les éleveurs

Réfractaires à la présence de l’ours dans les Pyrénées, qui menace leurs troupeaux, les éleveurs multiplient les protestations et les pétitions. Le rapport ROB constate que sur le versant français, 339 attaques ont été recensées, contre 331 en 2022, soit une augmentation de +5%. Mais “depuis la forte augmentation observée entre 2017 et 2018, le nombre d’attaques sur le cheptel domestique est néanmoins relativement stable ces 5 dernières années”. Ces chiffres n’ont pas de quoi rassurer le maire de la commune d’Ustou dans l’Ariège et président de la Fédération pastorale de l’Ariège, qui rappelle qu'en mars, un ours a encore détruit les ruches d’un apiculteur .  

"agissez vite avant un drame!”"

L’Italie en renfort

Le pays avait été secoué le 5 avril 2023 par la mort d’un jeune homme de 26 ans, Andrea Papi, tué par une ourse dans le massif alpin en Italie. En Ariège, département où vivent la majorité des ours recensés, l'inquiétude règne. “Les ours n’ont plus peur de l’humain” affirme le président de la Fédération pastorale de l’Ariège. Lors de la visite en Italie de la délégation de l’Association pour la sauvegarde du patrimoine d’Ariège et des Pyrénées en mars 2024, les habitants ont alerté les Français : “agissez vite avant un drame!”. 

La cohabitation entre l’homme et l’ours, au point mort

L’augmentation de la population ursine ravive les tensions entre les partisans et les opposants à la présence de l’ours. Les événements du 5 mai 2018 sont encore dans les mémoires. 750 militants contre la réintroduction des ours avaient fait irruption - sans autorisation de manifester - à La-Bastide-de-Sérou et perturbé une réunion de militants écologistes. Des jets de pierre et des agressions avaient eu lieu. À cela s'ajoutent les morts suspectes d’ours, comme en avril 2020, lorsque le cadavre de Balou avait été retrouvé au fond d’un ravin côté espagnol, empoisonné à l’antigel. Désormais, c’est l’ours Goait qui inquiète. Le mâle dominant au nom signifiant “jeune garçon ou parrain” en Pallares (sous-dialecte catalan) a  semé la terreur chez les éleveurs espagnols et français. Lâché en 2016 depuis la Catalogne, il a déclenché à trois reprises le protocole “ours à problèmes”. L’ours est en effet téméraire : il s’attaque aux élevages et a même pénétré dans des bâtiments. Sauf que, depuis le 25 avril 2022, il est porté disparu. Mort naturelle ? Accident ? A-il été abattu ? Les raisons ne sont pas encore connues. Goait vient s’ajouter à la liste des sept ours portés disparus dans des conditions similaires dans les Pyrénées.

Les ours, toujours plus nombreux, toujours plus consanguins 

Outre les disparitions non élucidées, la principale préoccupation pour Adet, l’association Pays de l’Ours, est l’augmentation de la consanguinité croissante chez les ours. “Tous les oursons nés en 2023 sont concernés, ainsi que la quasi-totalité des ours présents. Certains sont issus de parents et de grands-parents déjà eux-mêmes consanguins”, indique-t-elle. D’après l’association Pays de l’Ours, ce point crucial est occulté par le rapport de l'OFB. Comment faire entendre à des éleveurs à bout, que l'on continue de réintroduire des ours pour sauver l'espèce ? La situation est délicate, avec d’un côté, l’ours qui court à sa perte malgré tous les moyens mis en place pour sa sauvegarde. De l’autre, des éleveurs, démunis et traumatisés par les attaques et dont les préoccupations sont légitimes. Pas de consensus pour le moment. Les discussions  entre les défenseurs et les opposants à l'ours sont toujours dans l’impasse et les  intérêts des uns et des autres semblent  plus que jamais  irréconciliables.