Nutrition animale : Remise en cause, Évolution… Révolution ?

L'alimentation humaine est fortement tributaire de celle des animaux, même si l'évolution des habitudes alimentaires de nos contemporains va vers moins, ou même beaucoup moins de protéines animales, projet que soutiennent le flexitarisme, le végétarisme ou le véganisme. Mais pour la plupart d'entre nous, l'apport carné garde toute sa légitimité dans le quotidien du repas (notamment en restauration hors domicile où le hamburger est devenu le premier plat consommé). Ce qui prend surtout de l'ampleur, c'est l'exigence des consommateurs, que leur alimentation soit toujours mieux contrôlée, plus sécurisée et toujours meilleure sur le plan diététique et organoleptique. Et cela passe évidemment aussi par l'alimentation des animaux dont ils consomment la viande.

D'abord, compte la composition organique de cette viande, équilibre entre protéines, lipides, et tous les éléments qu'elle contient au profit de celui qui la digère. Cela passe aussi par la bonne santé et le bien-être de l'animal qui fournit la viande. Et en définitive, cela tient à ce que l'animal sacrifié pour remplir nos assiettes mange lui-même une nourriture saine. La cause est entendue : les Français - comme la plupart des habitants des pays développés - mangent encore beaucoup de viande, mais aussi, il est vrai, de moins en moins. À cela plusieurs raisons : vieillissement d'une population dont les besoins énergétiques se réduisent très naturellement ; mobilisation des convictions au profit d'une meilleure diététique - moins de graisses, moins de glucides, plus de fibres ; détournement de certaines viandes - le bœuf - ou de certaines préparations - la charcuterie - selon des avis divers, parfois vite contredits ; motivations religieuses ; refus de la nécessité de tuer, de faire souffrir, et on en passe. Mais ce n'est pas tout : quitte à manger de la chair d'animal, de plus en plus il s'agit de s'assurer qu'elle est absolument saine et que dans son alimentation, rien n'est venu contrarier la nature même de l'animal abattu et la qualité de sa viande. On pense évidemment au scandale de l'ESB et aux décisions qui en ont résulté d'interdire toute farine animale dans l'alimentation des cheptels.

Protéine : une équation difficile à satisfaire Mais comment faire ?

Protéine : une équation difficile à satisfaire Mais comment faire ? Comme toujours en matière d'alimentation, il s'agit de vendre au consommateur ce qu'il attend, au besoin de le lui suggérer, en captant ce qu'il souhaite. Et donc, quel est son souhait ? Le souhait du consommateur s'exprime aujourd'hui en 3 mots : qualité, proximité, traçabilité. Il est donc important de décliner ces trois exigences à travers l'alimentation de l'animal. On l'a aussi vu récemment en matière de lait de consommation : on vend mieux, voir plus cher un lait dont on peut assurer que les aches qui l'ont produit ont passé du temps dans les herbages plutôt que d'avoir consommé de l'aliment apporté parfois de très loin. Mais dans quelle mesure cela est-il possible ? En effet, la nutrition animale suppose un équilibre de substrats qui ne correspond pas forcément à l'offre domestique. La France, a priori, a les moyens de se nourrir, car elle dispose d'une surface agricole utile importante pour un pays européen, 29 millions d'hectares, plus de 50 % du territoire. Pratiquement la moitié de cette SAU est consacrée aux prairies et surfaces fourragères, une proportion plus importante que la moyenne européenne (42 %), mais qui ne suffit pourtant pas à nourrir les animaux, porcins et volailles, notamment. La France exporte des céréales, la cause est entendue, mais en revanche, elle doit importer des protéines végétales, principalement sous forme de tourteaux de soja : c'est ce qu'on traduit communément par « carence protéique ».

On le sait, la production d'un kilo de viande nécessite selon les espèces entre 2 et 10 kg de matière végétale. Mais si les élevages de porcs ou de volailles nécessitent moins de volume d'aliment, la proportion d'aliment concentré, beaucoup plus riche en protéines, est beaucoup plus importante que pour les ruminants : la ration d'un ruminant comporte deux fois plus de protéine d'origine fourragère qu'issue des aliments concentrés et composés, alors que c'est précisément l'inverse pour les monogastriques. Or le fourrage est évidemment bien moins riche en protéines, ce qui explique d'ailleurs que même pour les bovins et les ovins, un complément protéique extérieur soit indispensable. La ration alimentaire des habitants d'un pays développé comme la France comporte environ 40 kg de matière protéique par personne et par an, se répartissant ainsi : 25 kg de protéines animales et 15 kg de protéines végétales. Pour une population totale de l'ordre de 65 millions d'habitants, cela représente environ 1 million de tonnes de protéines végétales et 1,6 million de tonnes de protéines d'origine animale. Et c'est pour cela que la France connaît une carence protéique moyenne mais durable.

En effet, pour produire ces 1,6 million de tonnes avec l'ensemble du cheptel français, il faut compter un peu plus de 12 millions de tonnes de protéines végétales, soit un rapport moyen de 1 à 7,5. Au total, le besoin en protéine de la population française se situe donc entre 13 et 14 millions de tonnes de protéines végétales (dont, on le voit, à peine plus de 7 % sont destinées à la consommation humaine directe).

En théorie, la France a la capacité de les fournir : la protéine végétale issue des fourrages a pu être estimée à environ 6,2 millions de tonnes et celle issue des grandes cultures à 8,9 millions de tonnes (1). Mais ce n'est pas si simple, car en matière économique, opportunités et contraintes compliquent l'équation.

L'opportunité, c'est que les céréales françaises présentent des qualités spécifiques qui les valorisent fortement à l'exportation. On le sait, bon an mal an, la moitié de la production nationale de céréales est exportée. Tenant compte du fait que les productions oléo-protéagineuses le sont beaucoup moins, cela représente entre 2,5 et 3 millions de tonnes « d'équivalent protéines » qui ne sont plus disponibles à la consommation domestique du fait de l'exportation de cette part de la récolte. La contrainte, c'est que les élevages désormais intensifs de monogastriques, porcs et volailles, exigent des formulations que ne peuvent pas satisfaire entièrement les productions nationales

(cf. Graphique n°1 ci-dessous).

Il est évidemment profitable que la France continue autant que possible à assurer le débouché à l'exportation de cette part des céréales qu'elle produit, car elle ne saurait bien les valoriser en nutrition animale sur le marché intérieur, face à la compétitivité des matières protéiques importées, dédiées à l'alimentation animale. 15 millions de tonnes de protéines produites et l'équivalent de 3 millions exportées pour un besoin domestique global proche de 14 millions de tonnes : c'est l'importation nette de coproduits, principalement du tourteau de soja, qui comble la différence en apportant les quelque 1,5 à 2 millions de tonnes de protéines végétales nécessaires pour compléter l'équilibre. Et c'est là que les choses se compliquent !

Article extrait de l'Analyse de la conjoncture et de l'actualité agricole et agroalimentaire - PRISME n° 28 - Janv.2020