[Sommet] « Ma ferme innovante est une ferme du passé »

Éleveur d’Aubrac AOC Fin gras du Mézenc (Haute-Loire), Bernard Bonnefoy fait partie du réseau de fermes innovantes Life Beef Carbon visant à réduire l’empreinte carbone. Son système 100 % foin lui confère un excellent bilan carbone mais lui réserve encore une réduction potentielle de ses émissions.

4,1 kg éq.CO2/kgvv (kg de viande vive) : telles sont la valeur et l'unité caractérisant l'empreinte carbone nette de l'élevage de Cathy et Bernard Bonnefoy, situé à Les Estables en Haute-Loire. Le Gaec À la bonne fourche, qui compte 50 vaches Aubrac sur 166 ha à 1400 m d'altitude, fait partie du réseau des 125 fermes innovantes suivies par l'Institut de l'élevage dans le cadre du programme Life Beef Carbon, lequel a son pendant en lait avec le Life Carbon Dairy. Le programme a pour objectif, d'ici à 2020, d'identifier des leviers d'action pour réduire de 15 % en 10 ans l'impact carbone de la production de viande bovine, dans quatre pays que sont l'Espagne, l'Italie, l'Irlande et la France, cette dernière étant sur-représentée via ses 2000 fermes de démonstration (35 critères de performance technico-éco-environnementaux) et ses 125 fermes innovantes (150 critères). Le programme mobilise l'outil Cap'2er qui, outre le diagnostic initial, propose des plans d'action pour réduire l'empreinte. Le programme Life Beef Carbon doit déboucher d'ici à 2020 sur l'élaboration d'un plan carbone ayant vocation à essaimer au-delà des fermes de démonstration.

Un élevage peu émetteur

Avec une empreinte nette de 4,1 kg éq.CO2 par kg de viande de vive (19,4 kg émis pour 15,3 kg stockés), la situation de départ du Gaec est plutôt flatteuse. « L'empreinte carbone nette est obtenue en soustrayant le carbone stocké dans les prairies et dans les haies aux émissions brutes de gaz à effet de serre », explique Mathieu Velghe, chef de projet à l'Idele. « Au sein du réseau des 2000 fermes de démonstration, l'empreinte varie entre 8,9 et 11,6 kg éq. CO2/kgvv selon les exploitations et les systèmes d'élevage, les naisseurs étant les mieux placés, devant les naisseurs avec engraissement de femelles et les naisseurs avec engraissement de jeunes bovins. La bonne performance du Gaec s'explique en grande partie par le stockage du carbone dans les 166 ha de SAU, qui sont en fait 166 ha de surfaces toujours en herbe récoltées à 100 % en foin ». A titre indicatif, un ha de prairie permanente équivaut à 570 kg CO2/an.  Ce choix radical du 100 % foin est en partie imposé par le contexte pédo-climatique et topographique mais c'est aussi un choix personnel. « Il y a quelques années, j'ai cessé de produire du broutard pour cause de prix immaîtrisables et de FCO », explique Bernard Bonnefoy, venu présenter sa démarche au Sommet de l'élevage. « J'ai développé la production de génisses de 2-3 ans et des bœufs de 3 ans en filière AOC Fin gras du Mézenc. Le restant des mâles part en bœufs maigres pour être fini en filière Aubrac. Au plan environnemental, je me retrouve à la tête d'une ferme innovante alors que mon système s'apparente en fait à une ferme du passé ».

Un élevage profitable

Si le bilan carbone est plutôt flatteur, le bilan économique n'est pas mal non plus. Il faut dire que l'AOC Fin gras du Mézenc met du persillé dans le beurre. « Je mène moi-même mes bêtes à l'abattoir, ce qui me permet de valoriser un peu plus que la moyenne de l'AOC, qui se situe autour de 5,8 €/kg, quand je vends les miennes 6,50 € le kilo ». Plus d'une bête sur deux (57 %) est finie sur l'exploitation. Le Gaec produit bon an mal 25 bêtes AOC et au total 23 t de viande vive pour 1,5 unité de main d'œuvre. Le Fin gras du Mézenc est, avec le Charolles, le Maine-Anjou et le taureau de Camargue, une des rares viandes bovines AOC. « A l'avenir, on consommera peut-être moins de viande mais plus qualitative, un peu comme le vin », devise l'éleveur. Avec son millier de bêtes annuelles (1100 exactement), l'AOC Fin gras du Mézenc n'est pas à la veille de saturer le marché ! Toutes productions confondues, et aides incluses, le Gaec valorise sa viande 4,96 €/kg pour un coût de production de 4,58 €/kg. Gare : l'ICHN et autres aides génèrent un produit équivalant à 2,16 €/kg. D'où la prudence du couple qui s'est diversifié il y a peu dans l'agrotourisme avec accueil à la ferme, chambres d'hôtes et gîtes.

Un élevage perfectible (tout de même)

Au plan économique, il sera difficile de mieux faire. Au plan environnemental, Philippe Halter, conseiller à la Chambre d'agriculture de Haute-Loire, un des 170 conseillers formés au protocole Cap'2er au plan national, a identifié quelques leviers d'action, qui doivent conduire à une réduction potentielle de 17 % des émissions. « Du point de vue du stockage de carbone, on ne peut pas faire mieux », analyse-t-il. « Au plan des émissions, le Gaec peut faire des économies d'électricité en changeant ses vieux ventilateurs énergivores et en troquant ses néons pour des éclairages plus économes. Le poste carburant est perfectible en aménageant des points d'eau à partir des sources, et qui diminueront les déplacements intempestifs. L'autonomie fourragère peut être renforcée en remplaçant des UGB vache par des UGB bœufs, plus modulables. Enfin, la conversion à l'AB serait bienvenue pour renforcer la reconnaissance de la performance environnementale ». Avec sa formule 100 % foin, 0 maïs et 0 kg d'azote minéral, le Gaec fait en réalité de l'AB comme d'autres font de la prose. Seules les vaches à l'attache dans l'étable entravée posent problème vis à vis du cahier des charges. Sauf à passer sous le seuil des 50 mères pour obtenir une dérogation. « Le bio, ça parle au consommateur et au voisinage », admet sans peine Bernard Bonnefoy, qui étudie la conversion.